Critiques rédigées par Laëtitia

 

Les Terranautes (T. Coraghessan BOYLE)

note: 4Société utopique Laëtitia - 13 septembre 2018

Voici un huis-clos à couper le souffle, inspiré d’une expérience réelle tentée dans les années 90, en Arizona, à savoir enfermer quatre hommes et quatre femmes dans un dôme de verre pour tester tant leur résistance physique que mentale et voir s’ils peuvent assurer leur survie sans assistance extérieure.
Mais forcément, les tensions s’accumulent : nourriture rationnée, rivalités professionnelles et amoureuses mettent à mal la vie communautaire.
La trame du roman est bien construite, avec un focus sur 3 personnages centraux : Dawn, jolie fille et meneuse du groupe, Ramsay, le beau gosse intéressé surtout par le sexe et la gloire, et Linda, la recalée de la mission, qui fait le tampon entre intérieur et extérieur.
Pour son seizième roman et à 70 ans, T.C. Boyle pose un regard toujours caustique mais bienveillant sur ses terranautes et réussit à nous prendre de passion pour ce loft scientifique.

La Trilogie de Mars n° 1
Mars la rouge (Kim Stanley ROBINSON)

note: 4Bienvenue sur Mars Laëtitia - 7 septembre 2018

En 2026, cent pionniers embarquent sur un gigantesque vaisseau spatial, l’Arès, et en totale autarcie, vont se confronter à une planète vierge et hostile. Très vite, des dissensions apparaissent, portant sur un sujet crucial, la terraformation de Mars, et deux groupes s’opposent. Les «rouges» que l’on pourrait qualifier d’écologistes, veulent préserver Mars (avec des degrés divers de militantisme, d’Hiroko, experte en biologie et agriculture, qui fédère des adeptes et crée une sorte de chamanisme martien, en passant par Arkady, ingénieur russe qui prône le sabotage).
Et Les «verts» qui veulent faire de Mars une planète Terre bis avec des projets démesurés, poussés par les transnationales avides de profit et pressés par les gouvernements qui savent que la planète mère est à l’agonie.
Sans compter le débarquement de trop nombreux Terriens qui voient en Mars un nouvel Eldorado.
Même si l’auteur, géologue de formation et ayant travaillé de concert avec la NASA, use parfois d’un vocabulaire technique et scientifique qui peut rebuter le lecteur (un glossaire aurait été judicieux), insistez et vous ne serez pas déçu par cette épopée qui mérite ses prix (prix Nebula et British SF award 1993).
On parle même d’une éventuelle adaptation cinématographique… à suivre, donc !

La Péninsule aux 24 saisons (Mayumi INABA)

note: 4... Laëtitia - 31 juillet 2018

«Au milieu de la tranquillité des ténèbres de laque noire, on entendait le bruit inchangé de l’eau de source qui éclaboussait la surface finement gelée du marais. […] Quand je restais à écouter le bruit de l’eau, je pensais aux entrailles sombres de la terre. L’envie ne me quittait pas d’aller jeter un œil sur l’origine du rythme invisible de l’eau. Quel âge avait l’eau qui coulait en ce moment même ? […] A me dire qu’elle retournait à la mer, mon cœur était partagé entre l’effroi de l’infini du voyage de l’eau et une irrépressible attirance».
Cette observation attentive de la nature s’accorde avec le besoin profond de se ressourcer de la narratrice, qui décide de vivre un an dans le hameau de la presqu’île de son enfance.
Observer les rythmes de la nature, se promener dans la forêt, partager des moments de convivialité avec ses voisins, notamment prendre le thé avec Kayoko l’apicultrice, tel est le programme de cette femme qui vit le reste du temps à Tokyo.
Ce texte d’une subtile douceur résonnera longtemps en vous, et si vous éprouvez le besoin de ralentir, c’est le livre qu’il vous faut.
C’est mon livre «feel good» de l’été, les mièvreries de certains auteurs en moins et la poésie en plus !

Patria (Fernando ARAMBURU)

note: 5Guerre et paix en pays basque Laëtitia - 19 juin 2018

Vendu à 700 000 exemplaires et bientôt en cours d’adaptation en série TV, «Patria» est le phénomène littéraire en Espagne. A la fois roman historique et saga familiale, «Patria» évoque le destin de deux familles basques, portées par les personnalités fortes de deux femmes, Bittori et Miren, dont l’amitié indéfectible ne va pas résister au vent de l’Histoire et de l’ETA.
Quand le mari de la première est menacé, puis exécuté pour avoir refusé de payer l’impôt révolutionnaire, la seconde prend fait et cause pour son fils Joxe Mari, entré dans la lutte armée.
Le lecteur se laisse embarquer dans ce roman polyphonique, découpé en courts chapitres, alternant les différents points de vue des personnages des deux familles et les temporalités, l’Histoire se télescopant aux souvenirs, couvrant sur plusieurs décennies le quotidien d’un village basque, avec l’endoctrinement d’une partie de la jeunesse, le qu’en-dira-t-on qui gangrène les villages, la souffrance de tout un peuple toutes idéologies confondues.
L’une des forces de ce roman réside aussi dans la volonté de l’auteur de sonder ses personnages en profondeur, dévoilant petit à petit leurs doutes, voire leurs trahisons (envers leur communauté ou eux-mêmes) et leur repentir.
Et enfin, soulignons une fois encore la traduction impeccable de Claude Bleton, mon ancien prof. d’espagnol !

Ravage n° 1 (Jean-David MORVAN)

note: 3Adaptation... ravageuse Laëtitia - 23 mai 2018

Écrit en 1943 par Barjavel, «Ravage» est le 1er roman français de SF post-apocalyptique, décrivant le déclin de notre civilisation suite à un énorme black-out. Il m’avait marqué durablement, tant l’hypothèse de son scénario de fin du monde est crédible. JD Morvan nous fait le plaisir de nous offrir enfin une libre adaptation en BD de ce «classique» de la littérature toujours étudié.
La première partie d’un triptyque annoncé s’ouvre sur la fin du roman, quand François le Patriarche, chef d’un clan qui prône des valeurs traditionnelles et un retour à la Terre, affronte un autre clan adepte du progrès. Ces scènes de bataille avec des personnages marqués «heroïc fantasy» (talentueux Macutay) sont un des points forts de la BD et orientent sans doute la suite des 2 autres tomes. Puis le lecteur est replongé cent ans en arrière, en 2052, la BD s’articulant autour du personnage principal, François, jeune étudiant en chimie agricole dont on pressent déjà le charisme.

Seul bémol : on arrive très vite à la fin de ce tome I, coupé dans notre élan, et il va falloir patienter pour lire la suite…

Les Pieds sur Terre (Batiste COMBRET)

note: 4Don Quichotte made in Landes Laëtitia - 17 avril 2018

C’est tout d’abord un coup de cœur pour les Mutins de Pangée, coopérative cinématographique proposant souvent un catalogue reflétant un certain regard alternatif sur notre société - parmi les plus connus, «Tous au Larzac», «I am not your negro» ou «Citizenfour» (sur le lançeur d’alerte E. Snowden) -.
Ensuite, c’est une approche plus optimiste et pacifiée du casse-tête Notre-Dame-des-Landes : ici, pas de lutte stérile, on met l’accent sur un véritable projet de société et une réappropriation des terres, les squatters sont pacifiques et ont pour la plupart tissé des liens avec les agriculteurs locaux avec qui ils font cause commune.
Alors que le sujet est brûlant d’actualité, il est réconfortant de voir que face à des projets aberrants, il y a toujours des personnes prêtes à se battre en conformité avec leurs idéaux.

Soufre (José Luis PEIXOTO)

note: 3... Laëtitia - 14 mars 2018

Galveias est un petit village pittoresque du Portugal, avec ses chênes lièges, ses champs, sa place du village. Le roman est divisé en deux parties : l’histoire commence en janvier 1984 comme un conte fantastique, quand une entité mystérieuse creuse un énorme cratère dans un champ et donne lieu à des phénomènes inexpliqués (pluies diluviennes, pain au goût de soufre, perturbation de l’humeur). On pourrait la qualifier de «mise en place» du décor. Puis advient la seconde partie (la plus importante), dans laquelle le lecteur est projeté quelques mois plus tard et qui bascule dans la chronique sociale.
L’odeur nauséabonde de soufre persiste, elle est une métaphore à la fois du déclin rural et du délitement des rapports humains. On y fait connaissance des personnages centraux du village, et peu à peu les secrets se font jour et les sentiments s’exacerbent. Famille cachée en Guinée pour le facteur, rancune tenace puis réconciliation entre deux frères, misère sexuelle pour la plupart, Peixoto dépeint une galerie de portraits de petites gens avec justesse et sans concession.
Une belle découverte que cet auteur quadragénaire portugais.

Tenebra Roma (Donato CARRISI)

note: 4Rome apocalyptique Laëtitia - 28 février 2018

En l’An 1521, le Pape Léon X émit une bulle comme quoi Rome ne devait jamais se retrouver dans l’obscurité. De nos jours, suite à des conditions climatiques exceptionnelles (crue du Tibre) et à une coupure d’électricité de 24 heures, la ville éternelle est plongée dans le noir et un couvre-feu est décrété.
«Tenebra Roma» est le troisième volet de la série mettant en scène Marcus, prêtre aux méthodes peu orthodoxes, chasseur de mal, et Sandra, photographe pour la police scientifique. Tous deux enquêtent sur une disparition vieille de neuf ans, la mort suspecte d’un cardinal et des meurtres rituels.
Flics corrompus, hommes d’église troubles, missionnaire serial-killer caché par l’ordre des Veuves du Christ, ordre satanique, les péripéties et les chausse-trapes nous emportent dans un tourbillon de crimes tous plus atroces les uns que les autres.
A la fois thriller ésotérique et thriller psychologique, on ne peut se résoudre à lâcher ce roman qu’à la toute dernière page.

Les Danois (CLARKE)

note: 3... Laëtitia - 15 février 2018

S’agit-il d’une épidémie ou de manipulations génétiques orchestrées par de grands laboratoires pharmaceutiques ? Partant de ce postulat dramatique, Clarke imagine dans cette BD d’anticipation des communautés immigrées du Danemark, puis d’Europe, victimes du virus «blond aux yeux bleus», qui devient dominant et modifie le patrimoine génétique.
Cette théorie en apparence farfelue mais qui a été validée par des épigénéticiens nous laissent entrevoir un futur où la population serait alors divisée en deux camps : ceux qui considèrent qu’en devenant tous identiques, il n’y aurait plus de racisme et de division, et ceux qui réclament un vaccin afin de garder leurs droits à la différence.
D’un point de vue graphique, j’aime beaucoup le dessin réaliste, le focus sur les visages des personnages principaux, et du point de vue de l’histoire, j’ai apprécié ces interrogations philosophiques, même si elles auraient méritées d’être approfondies.
Une BD originale à découvrir absolument.

Gabriële (Anne BEREST)

note: 3Gaby oh Gaby Laëtitia - 31 janvier 2018

Gabriële Buffet-Picabia a toujours été en avance sur son temps, et son premier fait d’arme sera d’être la première femme à intégrer la Schola Cantorum, dans la classe de composition, à l’âge de 17 ans. Pour fuir une éducation traditionnelle et échapper à l’imminence d’un mariage arrangé, elle part pour Berlin suivre les cours magistraux de Ferruccio Busoni. Là, elle découvre l’effervescence de la création et l’émulation intellectuelle entre artistes, mais aussi la vie de bohème. Mais deux ans plus tard, elle lâche tout par amour pour Francis Picabia, génie en devenir dont elle sera sans conteste «l’accoucheuse». Très entourée (aimée de Duchamp et entretenant une amitié forte et dénuée d’ambiguïté avec Apollinaire), elle n’en demeurera pas moins la femme d’un seul homme, malgré ses crises maniaco-dépressives, son goût prononcé pour l’opium et ses nombreuses maîtresses.
Dans ce roman biographique écrit à quatre mains par les arrière-petites-filles de Gabriële, c’est tout un pan de l’histoire de l’art du début du XXe siècle qui s’anime devant nos yeux éblouis et voit l’avènement des avant-gardes en peinture (cubisme, futurisme), littérature (dadaïsme) et musique (Stravinsky et son révolutionnaire «Sacre du printemps», Debussy, Ravel…).
C’est aussi une réhabilitation de la figure de Gabriële, paradoxale car à la fois féministe et s’effaçant pour laisser toute la place à Picabia. Cette artiste malgré elle, dont on trouve le nom dans la biographie des autres, a enfin droit à la lumière et ce n’est que justice.

Plonger (Christophe ONO-DIT-BIOT)

note: 3Autopsie d'une passion Laëtitia - 19 janvier 2018

«Plonger» est l’histoire d’une passion amoureuse qui finit mal, une variation d’Orphée et d’Eurydice. En effet, César (quasi double de l’auteur) de par le pouvoir incantatoire des mots, tente de faire revenir l’être aimé, Paz, d’entre les morts. Au-delà d’un homme amoureux désireux de faire advenir ce qui n’est plus, c’est le souci du père de transmettre à leur enfant des souvenirs d’une mère qu’il n’aura que très peu connue qui le pousse à convoquer ses souvenirs.
D’où la structure de ce roman proche de l’autofiction qui s’articule en trois parties : la première évoque la passion naissante, la deuxième les malentendus qui gangrènent peu à peu leur relation et la troisième le départ de César aux Émirats pour recueillir la dépouille de Paz et tenter de comprendre le besoin d’évasion de sa femme, sa fascination pour les squales (elle avait adopté un requin-marteau) et sa fin tragique.
Que les choses soient claires : «Plonger» n’est pas «Belle du seigneur» et n’est pas Albert Cohen qui veut. Néanmoins, en dépit des critiques littéraires (plutôt «vachardes» pour certaines) et de lieux communs sur le monde de l’art, voire des personnages trop convenus (qu’il est agaçant ce stéréotype de l’Espagnole aux yeux de braise et au caractère volcanique, mais bon), la lecture de «Plonger» résonne encore longtemps en vous.
Car l’auteur excelle à faire ressentir la saveur des premières fois (premier contact charnel, premier voyage dans les Asturies, premiers émois face à son fils). Et dans la dernière partie du roman (la plus réussie selon moi), la poésie avec laquelle il décrit le monde aquatique et ce besoin d’une connexion à la nature fonctionne à merveille, puisqu’on a presque la sensation d’être soi-même immergé dans ces abysses.
Alors … plonger !

Les Huit montagnes (Paolo COGNETTI)

note: 3... Laëtitia - 4 janvier 2018

Paolo Cognetti vit depuis plus de dix ans à 2 000 mètres d’altitude, dans un hameau du Val d’Aoste, où il mène une vie proche de la nature, à l’abri de notre civilisation urbaine où surconsommation, stress et course après le temps prédominent.
«Les Huit montagnes» est l’histoire d’une amitié entre deux garçons, Pietro le jeune milanais qui vient passer ses vacances d’été à Grana, et Bruno, berger. Bien des années plus tard, une fois adulte, Pietro retourne à l’alpage et renoue avec Bruno une amitié tissée de pudeur, de randonnées et de joies simples : «Au coucher du soleil nos soirées interminables commençaient. L’horizon au fond du vallon rougissait quelques minutes à peine, avant qu’il ne fasse nuit noire. Après, la lumière était la même jusqu’à l’heure d’aller dormir. Il était six, sept, huit heures, et nous les passions en silence devant le poêle, chacun avec une bougie pour lire, la clarté du feu, le vin qui devait nous faire tenir, la seule distraction du dîner».
Mais c’est aussi l’histoire d’une filiation, avec un père tour à tour taiseux et colérique, qui tente de transmettre maladroitement à son fils son amour des sommets et son amour tout court.
Ce prix Médicis étranger 2017 vous ravira si vous aimez les amitiés enfantines à la Pagnol, la pudeur des sentiments et la nature.

Grand frère (Mahir GUVEN)

note: 3... Laëtitia - 18 novembre 2017

Les romans ont toujours pris le pouls de la société, aujourd’hui, rien d’étonnant à ce que certains auteurs s’emparent de sujets brûlants tels que la difficulté de vivre dans certains quartiers, la tentation du communautarisme, ou encore du djihad. On pense à «Evelyne ou le Djihad» de Mohamed Nedali ou encore aux romans percutants de Julien Suaudeau.
Pressenti pour le Médicis (qu’il n’a pas eu, ce sera sans doute pour une prochaine fois), Mahir Guven nous plonge au cœur d’une fratrie franco-syrienne : Grand frère, chauffeur de VTC et fumeur de ganja, et Petit Frère, l’intellectuel de la famille, infirmier, parti par idéalisme en Syrie pour soigner les civils au sein d’une ONG. Entre eux, le Père, communiste invétéré, une grand-mère adorée mais dévastée par Alzheimer, et le souvenir persistant d’une mère trop tôt emportée par la maladie.
S’ensuit un roman riche en rebondissements (notamment suite au retour de Petit Frère en France), mais c’est aussi un récit de la colère, contre un monde ubérisé qui condamne les êtres à la misère affective et à la paupérisation, colère contre une société qui prône l’égalité mais pas pour tous, colère contre ceux qui embrigadent des enfants vers la mort.
Un roman percutant, juste, sans pathos ni parti pris, porté par une écriture mélangeant «bon français» et langage des cités, pour plus de réalisme.

Contes italiens (FRERES TAVIANI)

note: 3Cinéma italien Laëtitia - 2 novembre 2017

Auréolés d’un Ours d’or à Berlin pour «César doit mourir», les octogénaires mais toujours alertes frères Taviani reviennent à leurs premières amours, le cinéma romanesque, sous forme de film à sketchs.
La trame se situe dans le Quattrocento de la Renaissance, où des jeunes femmes et des jeunes hommes bien nés décident de fuir Florence ravagée par le fléau de la peste et d’attendre une accalmie dans la campagne toscane. Ils s’organisent alors en communauté et pour faire passer le temps, ils racontent à tour de rôle des histoires ayant pour thème l’amour et ses nuances, développant particulièrement le thème de l’amour plus fort que la mort. De l’amour courtois aux plaisirs de la chair, du tragique à la farce, le fil rouge de toutes ces histoires est de contrevenir à la morale bien-pensante.
Si les frères Taviani ont respecté cette vision de Boccace, leur dernier film n’en reste pas moins une libre adaptation de cinq contes du «Décaméron». Et si certains critiques ont dénoncé un certain académisme (parfois à raison) et ont vite fait de parler d’un film inégal, il n’en demeure pas moins un film atemporel qui célèbre la vie et l’amour, qui nous transporte tant par ces contes édifiants que par le soin apporté à la photographie léchée nous donnant l’impression d’entrer dans des tableaux de maîtres, et à la musique (Verdi, Puccini mais aussi de la musique moderne) mettant ces scènes en relief.
La sérénité, les nobles sentiments l’emportent ici sur la noirceur de l’âme humaine, voilà qui fait du bien et me fait préférer cette version à celle de Pasolini, plus paillarde et proche de la satire féroce.
Donc, à vous de trancher !

Oeuvre non trouvée

note: 4... Laëtitia - 30 septembre 2017

Naïma a la trentaine, travaille dans une galerie d’art parisienne, et sans doute à un tournant de sa vie, s’interroge sur ses racines et revient sur la douloureuse mémoire de la Guerre d’Algérie, son indépendance, ses dommages collatéraux, dans la France d’aujourd’hui en proie aux attentats et aux questions identitaires. En cette rentrée littéraire, six ouvrages ont pour toile de fond l’Algérie. Si pléthore de romans ont déjà abordé le sujet, notamment avec le déracinement des pieds-noirs, ici il est question du sort des harkis. L’auteur, elle-même petite-fille de harkis, nous livre son roman le plus abouti, restituant avec justesse et émotion la mémoire de la famille Zekkar de 1930 à nos jours.
Cette saga est découpée en trois chapitres, chacun consacré au parcours des trois personnages principaux : Première génération, Ali le patriarche, paysan kabyle prospère qui, même s’il n’a pas fait la guerre aux côtés de l’armée française, est considéré comme un traître et n’a d’autre choix que de prendre le bateau pour sauver sa peau. La deuxième génération est représentée par Hamid, le père de Naïma, passé par les camps de transit français, élève sérieux et appliqué qui va finir fonctionnaire et va devenir le Jaya, (l’émigré qui a tourné le dos à sa communauté). Et enfin troisième génération, Naïma qui a hérité des peurs de son père et s’est forgée une Algérie fantasmée.
Chargée de rassembler l’œuvre éparse d’un artiste dissident, Naïma va devoir se rendre sur la terre de ses ancêtres et aller à la rencontre d’une partie de sa famille paternelle : va-t-elle se sentir appartenir à cette terre et enfin «boucler la boucle» ?
Une saga familiale traversée par le souffle de l’Histoire déjà pressentie pour plusieurs grands prix, qui interroge et captive à la fois le lecteur.

Summer (Monica SABOLO)

note: 4... Laëtitia - 16 septembre 2017

«Nous avions couru dans le noir jusqu’au bord de l’eau. Nous nous étions déshabillés à toute vitesse, et sous nos pieds, les rochers étaient aussi doux qu’une moquette humide. Les réverbères se reflétaient dans le lac, on aurait dit qu’ils brillaient depuis les profondeurs. […] Je voyais la terrasse où nous étions assis, quelques minutes auparavant, et soudain, tout semblait aussi simple que d’entrer dans un univers parallèle, une faille dans l’écorce terrestre, où nous flottions, suspendus entre la voûte étoilée, telle une cloche scintillante posée sur la terre, et les abysses sous nos pieds».
Ici, le Léman est un personnage à part entière, tour à tour splendide, inquiétant, féérique, parfois métaphore de l’âme humaine, où dans les profondeurs se cachent des monstruosités. L’écriture poétique, l’atmosphère onirique, portent de bout en bout une histoire âpre, celle de Summer, jeune fille de 19 ans auréolée de cheveux blonds soyeux, aux longues jambes, symbole de la jeunesse dorée genevoise, qui disparaît un jour d’été. Qu’est-il advenu d’elle : kidnapping, meurtre, noyade, fuite ?
Vingt-cinq ans plus tard, le narrateur, son frère Benjamin, se replonge dans ce mystère, bien décidé à le résoudre, et à en finir avec ses cauchemars aqueux et ses souvenirs d’enfance flous. Peu à peu, le vernis social s’effrite, la vérité se fait jour.
Monica Sabolo excelle plus que jamais, entre excursions en voiliers et fêtes, à décrire ces familles de notables où sous des dehors bling, la violence et l’horreur sont tapies.
Sélectionné sur de nombreuses listes de prix (dont le Goncourt), «Summer» est une des révélations littéraires de septembre à lire absolument.

Oeuvre non trouvée

note: 4Perle littéraire Laëtitia - 1 août 2017

C’est le roman d’une histoire d’amour sur vingt-trois ans, celle qui unit Lotto, fils de bonne famille au charisme rayonnant et Mathilde, à la beauté étrange et réservée. Tout commence comme un conte de fée, le coup de foudre lors d’une soirée étudiante, puis un mariage précipité qui n’a pas la bénédiction de la mère de Lotto, qui lui coupe les vivres, pensant ainsi ramener son fils à la raison. Mais Lotto et Mathilde n’en ont cure, peu importe le dénuement, la précarité des petits boulots, de par leur passion, ils sont nimbés d’un halo de grâce qui attire dans leurs feux un nombre incalculable d’amis avec qui ils constituent une nouvelle famille. Car ce sont avant tout deux âmes fragiles, en manque de famille, Lotto n’ayant pas revu sa mère depuis son adolescence, quand il a été en pension en Suisse, et Mathilde qui fait preuve d’un mutisme total sur son passé. Et quand d’acteur raté, Lotto se révèle un excellent dramaturge et rencontre le succès, c’est un tourbillon de fêtes et la vie semble plus douce. Telle est la première partie du roman, la vision de Lotto sur son couple idéalisé et ses impressions d’artiste.
Et puis vient la seconde partie et là, ça décoiffe, le récit se déploie depuis le regard narratif de Mathilde, modifiant la version initiale (mais chut, gardons le suspense entier !).
Un roman sensible qui sonde en profondeur l’âme humaine, qui vaut autant par l’originalité de sa construction que par le savoir-faire romanesque de l’auteur.

Alceste à bicyclette (Philippe LE GUAY)

note: 4Un misanthrope à l'île de Ré Laëtitia - 25 juillet 2017

Gauthier Valence (Lambert Wilson), quinquagénaire sexy, acteur adulé pour son interprétation du docteur Morand dans une sitcom insipide dont on sent qu’il n’assume pas vraiment la filiation, se rend sur l’île de Ré retrouver Serge Tanneur (Fabrice Luchini), dont «L’ami du genre humain n’est pas du tout mon fait», acteur dégoûté du microcosme artistique parisien, d’où l’exil en Charente-Maritime. Valence nourrit l’espoir de convaincre son vieux comparse de renouer avec le théâtre et de jouer avec lui le «Misanthrope».
Commence alors un semblant de parade nuptiale, où les personnages se flattent l’un l’autre, puis entament les répétitions, alternant les rôles d’Alceste et de Philinte. Pour les amoureux de la langue de Molière, c’est un véritable régal que d’entendre ces alexandrins déclamés par un Fabrice Luchini en représentation perpétuelle, et un Lambert Wilson qui ne démérite pas, plus en sobriété mais tout aussi efficace. Mais l’intérêt du film réside aussi dans ce qu’il nous interroge sur la relation à l’autre, sur le masque social dont on veut couvrir l’autre, et cela transparaît au gré des répétitions mais aussi des intermèdes de détente (rencontre avec une belle Italienne, une jeune blonde actrice de films x), où chacun se révèle dans sa complexité, tour à tour mesquin et généreux, manipulateur et bienveillant.
Un excellent film éreinté à sa sortie par de nombreux critiques de cinéma, comme souvent à côté de la plaque, et qui nous donnent envie de nous muer en Alceste pour moquer ces Philinte, mais bon, restons smart…

Arrêtez-moi là (Gilles BANNIER)

note: 3Erreur judiciaire Laëtitia - 11 juillet 2017

Un chauffeur de taxi, la trentaine, serviable (il livre les courses à sa vieille voisine, dépose deux étudiantes éméchées à leur cité U sans leur faire payer la course), tel est le coupable idéal de cette sombre histoire d’enlèvement de fillette. S’inspirant du roman éponyme de l’écrivain écossais Ian Levison, Gilles Bannier nous livre un thriller efficace, prenant, bien que non dénué de clichés et de maladresses – on déplorera notamment le manque de réalisme concernant les scènes de tribunal, où la défense n’a quasiment pas droit à la parole-. Néanmoins, ce premier film vous embarque, la description quasi clinique, glaçante, d’une justice semblant plus soucieuse de mettre n’importe qui derrière les barreaux plutôt que de ne coffrer personne, conjuguée aux combines de la police, vous sidère autant qu’il vous indigne. Bref un thriller bien ficelé, à défaut d’être le film du siècle, porté par un superbe casting d’acteurs – Reda Kateb, qui incarne cet homme victime d’une erreur judiciaire, toujours impeccable, sobre, Gilles Cohen, épatant en avocat commis d’office, ou encore Erika Sainte qui incarne une petite amie pas si nette qu’il n’y paraît.

Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage (Yousry NASRALLAH)

note: 3Tragicomédie sociale à la sauce Bollywood Laëtitia - 27 juin 2017

«Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage» est une tragicomédie saturée de couleurs, de saveurs, tout en courbes et sensualité, loin des clichés d’une Egypte austère, même si certaines situations préoccupantes (crime d’honneur, emprisonnement abusif) ne sont pas occultées par Yousry Nasrallah. L’intrigue principale se noue autour du rachat imminent du restaurant de Yehya et de ses fils par un riche promoteur sans scrupules qui souhaite abandonner la savoureuse cuisine traditionnelle pour une insipide chaîne de fast-food. Tout autour vont se nouer des amourettes qui vont éclore lors d’un banquet de mariage (pivot central du film), sur fond parfois de lutte des classes sociales.
Les thèmes entrecroisés de l’amour de la bonne chair et de la chair tout court infusent nombre de romans («Chocolat amer» de Laura Esquivel, «Mise en bouche» de Jo Kyung-Ran) et de films. Celui-ci n’échappe pas à la règle, avec la sensualité des danses de femmes à l’abri des regards, osant même des chants paillards, des chorégraphies à la Bollywood, sans oublier la préparation et l’offrande de nourriture, autre vecteur de sensualité, invite à l’amour charnel, mais aussi véritable déclaration d’amour de Reffat confectionnant une mezikilia à la grecque pour les beaux yeux de Shadia, femme séduisante d’une classe sociale plus élevée que la sienne et plus âgée, revenue des Émirats-arabes unis et à qui il voue quasiment un culte.
Enfin, on notera une fin fantasque, à la limite du surréalisme, qui peut être interprété comme une métaphore de la société égyptienne, entre désillusion et désir de vivre pleinement.

Le Bureau des jardins et des étangs (Didier DECOIN)

note: 4Estampes japonaises Laëtitia - 22 juin 2017

Miyuki, jeune paysanne de Shimae, vient de perdre son époux Katsuro, pêcheur de carpes pour les étangs sacrés du palais impérial de Heiankyo. Pour la survie de son village mais aussi pour honorer la mémoire du défunt, Miyuki décide de livrer ses dernières carpes. Commence alors un voyage initiatique dans le Japon médiéval, qui révèlera Miyuki à elle-même et qui l’ouvrira au monde, longtemps délimité à la rivière Kusagawa.
J’ai particulièrement aimé cette immersion dans un monde méconnu pour un Occidental dans ce Japon du XIIe siècle, avec ses traditions, ses coutumes : le «Yobai» ou «intrusion nocturne» qui consiste à devenir mari et femme sans cérémonie, juste en se glissant dans le lit de sa promise plusieurs nuits ; le «Takimono awase», concours de parfums lancé par l’empereur, ou encore toute la préparation de Miyuki pour se transformer en «yujo», l’équivalent d’une geisha, avec poudrage du teint, dents teintes en noir et empilage de jupons, le tout considéré comme le must en terme de beauté de l’époque. Autre point fort de ce roman, le soin tout particulier apporté à une écriture ciselée qui sait à merveille restituer la beauté des paysages, la singularité de Miyuki – l’odeur qu’elle dégage, très particulière, qui sera comme un fil d’Ariane reliant divers événements pour culminer dans son apogée lors du «Takimono awase»-.
Une ode à l’amour, la beauté, la nature, comme autant de déclinaisons d’estampes japonaises raffinées et sensuelles.

Tu ne tueras point (Mel GIBSON)

note: 4Dans l'enfer de la guerre Laëtitia - 23 mai 2017

Inspirée d’une histoire vraie, le dernier film du réalisateur australien dresse à la fois le portrait d’une certaine Amérique (imprégnée de valeurs morales, religieuses, patriotiques) et celui de Desmond Ross, jeune Adventiste qui s’enrôle dans l’armée en tant qu’infirmier pour servir son pays, mais refusant absolument de porter une arme. Le film est nettement découpée en deux parties, la première montrant la vie d’avant de Desmond, son amour naissant pour sa future femme, sa vie quotidienne auprès d’un père alcoolique et violent, et enfin son engagement, avec brimades et procès militaire à la clé, qu’il gagnera ; la seconde développant le récit détaillé de la bataille d’Okinawa, où il révélera sa vraie nature de héros.
N’en déplaise à ses nombreux détracteurs, Mel Gibson est de l’étoffe des très grands réalisateurs, filmant avec maestria les scènes de guerre de façon hyperréaliste, notamment avec un mouvement de caméra nous entraînant au-dessus de la falaise, nous donnant l’illusion d’être nous-mêmes plongés au cœur de la boucherie. On pense bien sûr au somptueux «Apocalypse Now», car «Tu ne tueras point» est à classer dans la catégorie des très grands films de guerre. Et on salue la performance d’Andrew Garfield, jeune acteur très prometteur.
Enfin, signalons que le vrai Desmond Ross a été décoré par le Président Harry Truman de la médaille d’honneur en 1945 pour avoir, au péril de sa vie, sauvé 75 hommes.

Le Tour du monde du roi Zibeline (Jean-Christophe RUFIN)

note: 4... Laëtitia - 3 mai 2017

Vous aimez voyager sans bouger de votre fauteuil, arpenter des contrées exotiques et inconnues, découvrir des personnages qui ont façonné l’Histoire ? Dans «Le Tour du monde du roi Zibeline», Jean-Christophe Rufin joue à merveille avec les codes du roman d’aventures pour vous emporter loin de votre quotidien et réhabiliter un personnage haut en couleur de l’histoire de France et tombé dans l’oubli, Auguste Beniowski. Certes, l’auteur a pris des libertés avec la réalité pour en faire un personnage plus solaire, généreux qu’il n’était, mais son destin n’en demeure pas moins mouvementé et passionnant.
Découvrez donc l’histoire de ce jeune comte d’Europe centrale, enfant du Siècle des Lumières, qui après avoir été spolié de l’héritage paternel, deviendra meneur d’armée dans toute l’Europe, exilé en Sibérie d’où il s’échappera avec sa future femme, Aphanasie, fille d’un gouverneur, devenant capitaine de navire, voguant de la Chine à Macao, rentrant en France pour être chargé par le Roi de créer une colonie à Madagascar.
Au récit d’aventures se mêle une réflexion humaniste, puisque Beniowski, inspiré du Siècle des Lumières, époque s’il en est des libertés et des fraternités, va finalement refuser de remplir ce rôle, contrant les visées colonialistes et esclavagistes de la France, allant chercher de l’aide en Amérique auprès de Benjamin Franklin et de Washington pour développer une nation libre.
Une histoire passionnante, servie par le style inimitable d’un Rufin en grande forme.

Dans la Forêt (Jean HEGLAND)

note: 4... Laëtitia - 15 avril 2017

C’est un roman d’anticipation qui raconte la survie de deux sœurs adolescentes après un chaos politique non identifié (une allusion aux fondamentalistes d’Armageddon) : des rumeurs de populations décimées par des virus, de Maison Blanche brûlée, plus d’électricité ni de contact avec le monde extérieur font que les sœurs préfèrent vivre au milieu de cette forêt primitive de grands séquoias en espérant le retour de la civilisation. Le lecteur entre dans le vif du sujet par un astucieux biais : Nell, la narratrice, a reçu pour Noël de sa sœur Eva un cahier dans lequel elle va consigner le lent dérèglement du monde, mais surtout leur nouvelle vie, et de ce fait, nous faire partager ces moments du quotidien faits d’abattement, de survie, mais aussi de joies infimes et de symbiose avec la nature.
On se laisse emporter par ce huis-clos réaliste, quasi organique, par la présence permanente de la forêt, tout à tour féerique, terrifiante, nourricière, emmené par la personnalité attachante et combattive de Nell, la narratrice, dont l’évolution intellectuelle et spirituelle, au plus près de la nature, est source de réflexions à méditer : «Avant j’étais Nell, et la forêt n’était qu’arbres et fleurs et buissons. Maintenant la forêt, ce sont des arbres à suif, des érables à grandes feuilles, des paviers de Californie, des baies, des rhododendrons, et je suis juste un être humain, une autre créature au milieu d’elle. Petit à petit, la forêt que je parcours devient mienne, non parce que je la possède, mais parce que je finis par la connaître. Je commence à saisir sa diversité. Je commence à comprendre sa logique et à percevoir son mystère. Où que j’aille, j’essaie de noter ce qu’il y a autour de moi – un massif de menthe, une touffe de fenouil ou un champ d’amarante à ramasser maintenant ou plus tard quand je reviendrai, quand le besoin se fera sentir ou que ce sera la saison».
Une nouvelle vie serait donc possible au cœur de la forêt…

Le Français (Julien SUAUDEAU)

note: 4... Laëtitia - 31 mars 2017

«Le Français» est un roman court, âpre, sur un sujet brûlant : la conversion, puis la radicalisation d’un jeune Français de souche. «Le Français» n’a pas de prénom, car désincarné et semblable à de nombreux jeunes laissés pour compte ; tout juste le lecteur sait-il qu’il s’agit d’un blond aux yeux bleus qui mène une vie monotone en Normandie, entre petit boulot précaire, dépit amoureux et cellule familiale éclatée (un père absent, un beau-père alcoolique et violent qui le frappe à coups de ceinture). Quand Mirko, petit trafiquant d’Europe de l’Est, lui propose de réparer des ordinateurs à Bamako, il voit là une opportunité de fuir cet horizon bouché et de changer de vie. C’est là que tout bascule : suite à de mauvaises rencontres, il va faire son apprentissage d’un Islam radical auprès du Professeur : «En plus de nos lectures et de l’apprentissage des Cinq Piliers, le Professeur m’enseignait la taqiya, l’art de la poudre aux yeux : « C’est une ruse divine et une stratégie de guerre. Tu vis comme ton ennemi pour qu’il te croie ton ami». En l’écoutant me parler de la dissimulation, je me demandais parfois si à force de se cacher on ne finissait pas par ne plus savoir quand et avec qui on faisait semblant. Les jours où il s’absentait, il m’arrivait de penser que je faisais semblant d’être musulman et de suivre les enseignements du Prophète. Mais si j’essayais de me rappeler dans quel but je jouais cette comédie, je perdais tôt ou tard le fil et j’en arrivais toujours à la conclusion qu’il valait mieux y croire, pour ne pas oublier tout à fait qui j’étais».
La grande force de ce livre est de nous faire entrer dans la tête du personnage, d’assister à sa lente dérive, de ressentir son euphorie, ses doutes, tous ces sentiments contraires qui constituent un être humain, par le biais d’une narration à la première personne.
Un roman dérangeant où l’on suit, effaré, le lent processus de déshumanisation qui va mener ce jeune-homme jusque dans une forteresse en Syrie, où il côtoie l’E.I. et en deviendra un bourreau efficace.
Malgré la pesanteur d’un tel sujet, un roman essentiel pour mieux appréhender notre époque, s’interroger sur les failles du système et enrayer ce mal insidieux, et enfin sortir du manichéisme.

Le Grand combat (Ta-Nehisi COATES)

note: 3... Laëtitia - 18 mars 2017

Dans ce roman d’initiation largement autobiographique, l’auteur-narrateur retrace son enfance, puis son adolescence hors des sentiers battus dans un des quartiers les plus durs de West Baltimore, dans les années 80, où le crack, les flingues et les bastons sont légions. Mais aussi l’émergence de la culture hip-hop, l’éveil à la conscience politique et la fraternité, bouffées d’air pur dans ce paysage anxiogène.
Ta-Nehisi, guidé par un père ex Black Panther avant-gardiste et hors norme, mais aussi par sa bonne étoile, marque déjà sa différence et possède en lui les ressources pour transcender son destin : «Moi, mon truc, c’étaient les calumets et les traités de paix. Mon style, c’était la tchatche et l’esquive». Soit l’armure de l’écrivain et penseur en devenir, plutôt que l’appartenance à un gang ou la violence.
Évoquant la relégation dans des ghettos, la discrimination, l’auteur n’en épingle pas moins la communauté afro-américaine, la dépeignant sans angélisme : «On m’avait nourri de récits sur les combats de nos aînés. Mais quelle déchéance autour de moi : la télé câblée et la console Atari dans chaque pièce, des mères adolescentes, des nègres arborant des baskets qui valaient autant qu’une traite immobilière. Les Conscients savaient que la race toute entière était menacée de naufrage, que nous nous étions libérés de l’esclavage et de la ségrégation, mais pas des fers de l’esprit».
Bourré d’autodérision, agrémenté de références à des théoriciens ou écrivains engagés (Malcolm X, James Baldwin, Nat Turner) et d’une playlist de rap et de musique afro (afrika Bambaata, LL Cool J, Public Enemy, Burning Spear), voici un roman passionnant qui donne envie de découvrir un des fers de lance de la pensée afro-américaine contemporaine, adulé par Toni Morrison et Barack Obama, et de lire dans la foulée «Une colère noire» (National Book Award en 2015).

J'Avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd (Laetitia CARTON)

note: 5... Laëtitia - 22 février 2017

Trente ans après «Le Pays des sourds» de Nicolas Philibert, Laetitia Carton réalise un documentaire engagé et poétique sur l’identité culturelle, historique et surtout la langue des signes de la communauté sourde de France. Initié par son ami Vincent à la LSF, la réalisatrice a eu à cœur de continuer ce projet pensé à deux, qui aurait pu avorter suite au décès de Vincent, et qu’elle a mis près de dix ans à réaliser, le temps de mettre la colère et la tristesse à distance.
Le fil rouge du documentaire est la marche de cinq militants sourds, de Paris à Milan, soit 42 jours de marche avec notamment pour objectif, comme le dit l’un des marcheurs «d’être regardés comme des gens qui ont une culture et une langue et non plus seulement comme un problème médical», tout en dénonçant le fait que la France reste très en retard dans l’éducation bilingue des enfants sourds. Cette destination n’est bien sûr pas le fruit du hasard, puisque Milan avait accueilli en 1880 un congrès sur l’éducation des enfants sourds, où des «experts» prônaient l’oralisme au détriment de la LSF.
Ce fil rouge est ponctué de rencontres toutes plus touchantes et essentielles pour mieux montrer la diversité de cette communauté (qui compte aussi des entendants désireux de s’ouvrir à la richesse du monde des sourds) : Stéphane, professeur de LSF qui a lutté pour intégrer l’Éducation nationale, Josiane, qui dit sa tristesse de mal communiquer avec son fils, le comédien Levant Baskardès qui fait partie de l’International Visual Theatre dirigé par Emmanuelle Laborit et véritable laboratoire où se téléscopent les recherches artistiques, linguistes et pédagogiques sur la LSF.
Bref, une perle rare à visionner de toute urgence.

Le Destin ne s'en mêle pas (M.H. FERRARI)

note: 3Polar made in Corsica Laëtitia - 28 janvier 2017

Lorraine mais corse d’adoption, Marie-Hélène Ferrari a cartonné avec cette première enquête du commissaire Pierucci, qui en est à sa quatrième réédition et dont la trame se situe à Bonifacio, son lieu de résidence. Elle a su captiver un lectorat fidèle en créant un commissaire gourmand, bougon, qui a une relation difficile avec sa mère, bref qui est terriblement humain et attachant, et en saupoudrant son enquête de clins d’œil à l’île de beauté, évoquant les saveurs, les accents et les cultures corses, pour mieux nous ancrer dans son histoire. Une histoire somme toute banale mais tragique, la mort d’un homme apparemment ordinaire, Paul-François, qui se serait retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, ramassant une balle perdue. Pourtant quand sa femme, Marie-Savéria, tente d’en savoir plus, face au mutisme autour de Paul-François, le doute s’instille comme un poison : «et si son mari n’avait pas ramassé la mort de quelqu’un d’autre», pour reprendre une des expressions savoureuses de l’île ? Mené à un rythme placide mais efficace, le lecteur se laisse embarquer dans cette enquête atypique où passé et présent se mêlent, où malgré l’omerta difficile à percer, le commissaire Pierucci, pugnace, ira jusqu’au bout de la vérité.

Dawa (Julien SUAUDEAU)

note: 4... Laëtitia - 20 janvier 2017

Roman prémonitoire ou fine analyse de notre société contemporaine, vu à travers le prisme des diverses rencontres de l’auteur, tant au sein de Sciences-Po où il étudia, des banlieues dont il fréquenta les salles de boxe, ou encore en tant que journaliste d’investigation ? Sans doute tout cela à la fois.
Écrit en 2014, «Dawa» décrit la préparation par une cellule terroriste d’attentats djihadistes sur fond de campagne électorale… un vendredi 13 à Paris (troublantes similitudes…). A la fois roman noir nerveux et peinture quasi balzacienne d’une société en déliquescence, tout ou presque n’est que tractation et corruption dans les allées du pouvoir comme sur la dalle des 3000 à Aulnay. La force de l’auteur est de nous tendre un miroir de notre société, où les cœurs purs comme Momo, jeune voyou des cités repenti avec l’objectif de devenir boxeur, ou encore la politicienne intègre Hélène Faure, côtoient des âmes plus noires, telles Assan Bakiri, professeur d’arabe mettant sur pied un commando suicide, ou encore une multitude d’hommes politiques prêts à tout pour être élus, notamment à laisser l’économie se quatariser.
Toutefois, l’auteur veille à ne pas tomber dans un manichéisme primaire, même si sa vision de notre société est assez pessimiste. Un rythme haletant, des personnages attachants à la psychologie complexe, des rebondissements, de quoi dévorer ces presque 500 pages sans qu’il n’y paraisse.

Night call (Dan GILROY)

note: 3... Laëtitia - 3 décembre 2016

Lou Bloom, jeune homme étrange sans profession et doté d’une foi quasi mystique dans «l’american dream», assiste un soir à un accident de la route. En voyant débarquer des chasseurs d’images, il a une révélation : ce métier, fait d’adrénaline, sera le sien, et il lui permettra à la fois de s’épanouir et de gagner sa vie. Il se donne tous les moyens pour y parvenir, s’achetant une caméra numérique, un scanner pour capter la fréquence radio de la police et des pompiers, afin d’être le premier sur les lieux du drame (car jacking, incendie, agressions diverses). Intelligent et tenace, il réussit à capter l’attention d’une directrice de l’information d’une petite chaîne locale, qui voit vite son potentiel, et comprend que ces images volées et sanglantes lui permettront de rebooster son audience en chute libre. Début d’une longue apnée dans l’univers de la télé trash, « Night call» renvoie à un certain cinéma des années 70, celui de Clint Eastwood et du «Taxi driver» de Scorsese, quand l’Amérique explorait l‘envers de l’american dream, loin des blockbusters aux héros invincibles, mais peu réalistes. L’univers du journalisme trash basé sur le voyeurisme et le sensationnalisme, avec un Jake Gyllenhaal saisissant en sociopathe sans déontologie et dépassant les limites de la morale, reflète à merveille cette vision pessimiste de notre monde moderne et instille une tension qui va crescendo pour servir un thriller sombre. Un bon film de genre qui sidère, interpelle.

Scream test (Grégoire HERVIER)

note: 3... Laëtitia - 18 novembre 2016

Un slasher est un sous-genre cinématographique du film d’horreur, mettant en scène les meurtres d’un tueur psychopathe éliminant l’un après l’autre et méthodiquement un groupe d’individus caricaturaux (la bimbo, le sportif écervelé, le timide boutonneux, etc). La couverture graphique et attrayante de «Scream test» confirme qu’il s’agit bien d’un polar mâtiné de slasher.
La trame narrative : sept candidats récupérés après un casting raté vont participer à une émission de télé-réalité (qu’ils imaginent ordinaire) diffusée sur le net, sur un site payant, alors qu’ils sont la proie d’un psychopathe jouant au démiurge. En effet, celui-ci laisse voter les spectateurs pour savoir qui part (une personne chaque jour), les participants ne se doutant pas que la nouvelle donne est d’abattre chaque sortant… Un suspense haletant où l’on colle aux basques de l’inspecteur Clara Redfield, qui se livre à une course contre la montre pour stopper la tuerie. Néanmoins, ce premier roman pèche par manque d’audace et de développements : on ne sait quasiment rien de ce qui se passe à l’intérieur de ce loft, les personnages ne sont pas assez fouillés et cela nous empêche de ressentir une véritable empathie envers eux. Mais ne boudons pas notre plaisir, sans être à la hauteur d’un roman de Stephen King, maître du genre, ceci reste un moment de lecture distrayante au coin du feu pour qui aime à se faire peur !

Le Règne du vivant (Alice FERNEY)

note: 4... Laëtitia - 16 novembre 2016

La préservation de la nature, le respect des êtres vivants sont dans l’air du temps et c’est tant mieux. Dans «Antispéciste», Aymeric Caron défend le fait que les intérêts de l’homme ne sont pas supérieurs à ceux des animaux, et nous livre un travail de vulgarisation scientifique recensant les connaissances accumulées en biologie évolutionniste, en génétique et en éthologie. De même le moine bouddhiste Matthieu Ricard, dans son «Plaidoyer pour les animaux», nous invite à étendre notre bienveillance à tous les êtres sensibles. Alice Ferney, surfant sur la vague de l’écologie militante, nous livre un roman hybride, fruit d’une enquête de deux ans, qui est aussi un manifeste en faveur de la protection des espèces animales marines. Le narrateur, un journaliste norvégien (Gerald), s’embarque à bord de l’Arrowhead, navire de Gaïa, fondation luttant activement contre la pêche illégale. Tout d’abord curieux et sans parti pris, le reporter va très vite prendre fait et cause pour le leader charismatique de Gaïa, Magnus Wallace, fortement inspiré par l’activiste Paul Watson. La force et l’originalité de ce roman résident dans l’alternance entre une narration classique, véritable symphonie de la mer avec ses scènes de beauté, de pureté, telles la rencontre avec une baleine et son baleineau, des descriptions sous-marines à couper le souffle, et la description au scalpel propre au documentaire de scènes de massacres de requins (juste pour leur aileron et rejetés vivants à la mer, rappelons-le !), de courses-poursuites pour torpiller les bateaux pirates. Radicaux mais non-violents, il est utile de préciser que malheureusement, les militants sont souvent condamnés et les pirates relâchés, alors que l’homme tue 1 000 milliards d’animaux marins pour sa consommation ! Un livre coup de poing qui donne à réfléchir sur de nouveaux comportements à adopter pour protéger les générations futures des déséquilibres écologiques, lutter contre l’extinction d’espèces menacées, mais aussi qui pose un défi éthique à relever sur notre rapport à l’autre.

Petit pays (Gaël FAYE)

note: 5Enfance à Bujumbura Laëtitia - 10 novembre 2016

Artiste protéiforme, Gaël Faye n’est pas seulement un jeune compositeur-interprète, mais aussi un jeune écrivain plein de promesses, dont l’œuvre fictionnelle aux accents autobiographiques a été couronnée du prix Fnac 2016. «Petit pays» est le récit d’une enfance au Burundi dans le milieu des années 90, celle de Gaby, 12 ans, double de l’auteur, métis né d’un père français expatrié et d’une mère rwandaise. La beauté de ce livre réside en partie dans la douceur, la magie de l’enfance dans ce cadre paradisiaque, qui s’exhalent en un phrasé fluide, poétique, pour dire le chapardage de mangues dans le jardin des voisins, la bande de copains avec qui on refait le monde, une excursion chez les pygmées. Mais bien vite, le paradis devient l’enfer : les disputes des parents, la confusion politique après l’assassinat en 1993 du premier président Hutu au Burundi, le génocide au Rwanda voisin. Le point de vue du narrateur adolescent se croise avec celui du narrateur adulte, permettant une relecture des faits, montrant l’ironie de la vie : comment un tortionnaire devient pasteur, comment les animaux des expatriés sont sauvés du conflit, jugés plus importants que les hommes abandonnés à leur triste sort. Une pépite que ce «Petit pays» au goût de paradis perdu, celui de l’enfance, de l’exil, de l’innocence.

Free to run (Pierre MORATH)

note: 3... Laëtitia - 28 octobre 2016

Saviez-vous que les femmes, jusqu’à la fin des années 60, n’ont pas le droit de courir plus de 800 mètres aux Jeux Olympiques, sous prétexte que leur constitution serait trop faible (voire, ô comble de la bêtise, que leur utérus finirait par se décrocher!) ? Connaissiez-vous Kathrine Switzer, la première femme à avoir couru le marathon de Boston (1967), poursuivie par le directeur du marathon qui lui arracha son dossard et tenta de l’éjecter de la course ? Et Steve Prefontaine, surnommé le «James Dean de la piste», détenteur de tous les records des États-Unis (du 2000 m au 10 000 m), qui a milité pour que le statut d’amateur imposé aux athlètes –interdits de toucher le moindre centime de prime par les toutes puissantes fédérations- soit reconsidéré ? Aviez-vu déjà lu la revue «Spiridon» dont le fondateur Noël Tamini prône une course hors stade, au contact de la nature ?
Un documentaire pour tous ceux qui s’intéressent à la course à pied, avec un constat en demi-teinte : dès les années 80, l’argent a quelque peu perverti ce sport. Mais comme le dit si bien Noël Tamini : «Tant que personne ne peut nous interdire d’aller courir en forêt à l’heure qu’on veut, la vie est belle !»

Tropique de la violence (Nathacha APPANAH)

note: 4Une bien sinistre "île aux enfants" Laëtitia - 20 octobre 2016

Originaire de l’île Maurice, l’auteure a vécu deux ans à Mayotte, où elle a été marquée par la dureté de la vie, tout spécialement concernant les enfants des rues, de jeunes Comoriens souvent livrés à eux-mêmes. «Tropique de la violence» ne s’attarde guère sur le cliché de carte postale de ce département d’outre-mer (flore luxuriante, lagon bleu). Car si le récit commence tout en douceur, avec l’adoption par Marie, infirmière trentenaire blanche, d’un bébé clandestin (Moïse) et relate leur vie empreinte de confort et de rituels, celui-ci va vite basculer dans l’horreur avec la mort de Marie et le désarroi de Moïse, qui va devenir à son tour un enfant des rues et grossir les rangs du plus grand ghetto de Mayotte, rebaptisé «Gaza». L’originalité de ce roman réside dans la polyphonie des voix qui se relaient, chapitre après chapitre, pour faire valoir leur point de vue sur la tragédie en cours, y compris en faisant intervenir l’esprit des morts. Une écriture à fleur de peau, âpre, en accord avec le climat social empreint de violence. Pas de manichéisme ni de jugement moral concernant les personnages tel Bruce le caïd de Gaza, bourreau mais aussi ancienne victime, l’on voit bien toutes les contradictions dans lesquelles sont empêtrées les personnages, englués dans une sorte de fatalité. Assurément un des plus beaux et bouleversants livres de cette rentrée littéraire.

Saint Amour (Benoît DELÉPINE)

note: 4Un bon cru Laëtitia - 14 octobre 2016

Déjà septième long-métrage du duo Delépine-Kerven, leur nouveau film, aux scènes toujours aussi hilarantes que touchantes et aux dialogues loufoques, est un hommage au plus célèbre des crus du Beaujolais. Certes, avec une belle brochette d’acteurs connus pour leur amour de la bonne chère et de la dive bouteille, on assiste à un road-movie viticole, mais ce serait ne pas leur faire honneur que de cantonner le film uniquement dans ce registre-là. Car il s’agit avant tout d’un éloge du monde rural, de pudeur des sentiments avec un amour filial mal exprimé et de la difficulté de faire de belles rencontres amoureuses, que l’on soit paysan comme Bruno (magistral Poelvoorde tout en gaucherie et tendresse) ou chauffeur de taxi mythomane comme Mike (drôlissime Vincent Lacoste) ou veuf inconsolable comme Jean (l’ogre Gérard Depardieu). Ce voyage sur la route des vins va permettre au trio de fendre l’armure, de s’interroger sur leurs vrais désirs, par le biais de rencontres insolites. On notera le super casting des seconds rôles, apportant chacun leur pierre à l’édifice : on adore l’apparition surréaliste de Michel Houellebecq en maître d’hôte, Solène Rigot en jeune serveuse inquiète par la dette mondiale, et surtout Céline Sallette, Vénus souffrant de ménopause précoce, sans oublier Ovidie, Chiara Mastroianni ou Izia Higelin. Mention spéciale à la fin du film, qui n’est pas sans évoquer le célèbre «Les valseuses» de Blier.

Impasse khmère (Olivia GERIG)

note: 3... Laëtitia - 13 octobre 2016

Julia est une jeune femme qui abandonne son univers douillet genevois pour un travail dans une ONG à Phnom Penh, avec pour mission de recueillir les témoignages des victimes de mines disséminées dans tout le pays tout au long du règne des Khmers Rouges. La narration navigue du présent vers le passé et vice-versa, et le lecteur découvre ainsi les exactions du régime de Pol Pot mis en lumière par une histoire singulière, celle des membres de la famille Sok. Près de quatre décennies plus tard, les routes des membres de la famille Sok et de Julia vont se croiser, démêlant l’écheveau de destins brisés. Ce roman traite du karma, de la réincarnation, de l’entremonde où errent les âmes perdues, de la dislocation de la société cambodgienne, mais aussi de son dynamisme, ses traditions. Et contrairement à ce que suggère son titre, il ne mène pas à une voie sans issue, mais redonne de l’espoir en montrant que le pardon, l’apaisement, sont possibles et ouvrent de nouveaux horizons pour le peuple cambodgien mais aussi pour Julia, qui sortira changée par ce séjour humanitaire. On notera aussi le soin apporté à la délicate et élégante mise en page de ce roman, marque de fabrique de la maison d’édition suisse Encre fraîche.

Station Eleven (Emily St. John MANDEL)

note: 4... Laëtitia - 7 octobre 2016

Arthur Leander, acteur vieillissant, s’écroule sur scène en interprétant le Roi Lear à Toronto. Il est l’une des premières victimes d’une pandémie, la grippe de Géorgie, qui décimera 99% de la population mondiale. Les survivants doivent s’adapter à cette société post-technologique sans électricité, sans internet, vivre comme leurs ancêtres, à savoir apprendre à chasser un daim, recycler de vieux vêtements, etc. Parmi eux, on suit la Symphonie Itinérante, troupe d’acteurs et de musiciens jouant du Shakespeare et du Beethoven qui, comme son nom l’indique, va au-devant des rares habitants des villes nouvelles pour partager la beauté et la permanence de l’art. Ou d’autres qui ont trouvé refuge dans un aéroport transformé en Musée de la Civilisation tenu par Clark, un vieil ami d’Arthur, où sont entreposés des iPhones, grille-pain et autres objets à présent inutiles et dérisoires, reflets de l’ancienne société. Vous l’avez compris, ici pas de zombies ni de guerres intergalactiques, mais bien des hommes et des femmes ordinaires confrontés à l’extraordinaire (un monde post apocalyptique), dont les vies se répondent dans une subtile alternance d’allers-retours entre l’avant et l’après chaos. Autre atout du roman, la mise en abyme, avec en fil rouge un roman graphique, appelé lui aussi Station Eleven, que l’on suit de sa création à sa lecture passionnée par une actrice de la Symphonie Itinérante, jusqu’à son legs au Musée de la Civilisation. A lire, voire à relire.

The Girls (Emma CLINE)

note: 4Flower power dévastateur Laëtitia - 17 septembre 2016

La toile de fond de ce premier roman : la Californie hippie de la fin des années 60, marquée à jamais par un fait divers atroce, le massacre de Sharon Tate, actrice enceinte de 8 mois et compagne de Roman Polanski, et de ses hôtes, par des membres de la «famille» Manson, du nom du gourou satanique Charles Manson. Pourtant, dans ce premier roman brillant, l’auteur choisit une approche sociologique et psychologique, s’intéressant non pas au gourou mais aux failles, aux fragilités de ces femmes fanatisées qui n’hésitèrent pas à torturer et à tuer comme pour punir une société bourgeoise et capitaliste qu’elles rejetaient de toutes leurs forces. Elle aborde cette histoire par le biais de sa narratrice fictive, Evie Boyd, une femme sans âge, vivant solitaire dans une maison au bord du Pacifique et qui se remémore l’été de ses 14 ans où elle croise dans un parc une bande de filles aux cheveux longs et aux robes sales, «aussi racées et inconscientes que des requins fendant l’eau».
C’est l’histoire universelle d’une adolescente mal dans sa peau qui va basculer au contact d’une rencontre : irrésistiblement attirée par une jeune fille brune, Suzanne (inspirée de Susan Atkins, présente lors de tous les meurtres commandités par Manson) qui semble la meneuse de la bande, Evie va abandonner son confort bourgeois pour la suivre et vivre dans une communauté, le Ranch, dirigé par Russell (alter-ego de Manson) où l’on pratique l’amour libre, où tous les biens sont mis en commun. Avec justesse, l’auteur dépeint les moments d’euphorie, de liesse, de se sentir vivant, appartenant à une communauté, mais aussi l’idéal communautaire qui va se fissurer jusqu’au point de non-retour. Alors que les meurtrières commanditées par Manson se sont emmurées dans le silence, Emma Cline leur donne une voix et tente de s’approcher de l’indicible.

Danser (Astrid ÉLIARD)

note: 3Tout pour la danse Laëtitia - 8 septembre 2016

Roman polyphonique, Danser, comme son titre l’indique, nous plonge dans les coulisses de l’Opéra de Paris, évoquant le dur apprentissage de trois petits rats, Delphine, Chine et Stéphane. Car la compétition, l’éloignement familial, les premiers émois amoureux contrariés mettent à mal la volonté de certains ou au contraire les poussent à se dépasser, comme le dit Delphine : «Elle en a vu des filles comme moi, qui étaient en manque de leur famille. Certaines voulaient tout abandonner, pour retrouver leur vie d’avant. Aujourd’hui, elles sont coryphées, sujet, première danseuse. Ces mots ne me consolent pas toujours, car je m’aperçois que la danse n’est pas consolante, la danse est dure, ingrate, elle te dit qu’il ne faut pas courir dans le jardin (parce que tu peux tomber et te blesser), elle te demande de faire attention à ce que tu manges («Si tu manges pas, tu danses pas» comme dit la dame de cantine, mais si tu manges trop t’as droit à un entretien privé avec le nutritionniste»). Pourtant, des liens d’amitié se nouent, des personnalités se révèlent. L’auteur peint avec justesse ce rêve fou de tout donner pour sa passion, avec le constat qu’il y a un hiatus entre la réalité et le modèle de perfection que donne à voir la danse : «Les danseuses sont plus sèches, elles ont les os «pointus», peut-être vieillissent-elles moins bien, même si elles se font appeler Mademoiselle toute leur vie, et qu’elles gardent leurs cheveux longs, comme les jeunes filles. C’est la scène qui les rend belles, d’une beauté éphémère, car en vrai elles sont un peu… décevantes, comme ternies par le monde réel». Un roman qui fait mouche, sur la danse classique mais aussi sur les métamorphoses de l’adolescence.

La Vache (Mohamed HAMIDI)

note: 4C'est la faute de la poire ! Laëtitia - 31 août 2016

Fatah est un petit paysan algérien, amoureux de la chanson française des années 80 et de sa vache Jacqueline, Pierrot lunaire moqué dans son bled en raison de son originalité. Après des années de persévérance, il décroche le précieux sésame pour concourir avec sa belle Tarentaise au Salon de l’Agriculture de Paris. On assiste donc à un feel-road movie, on se met dans les pas de Fatah traversant la France de part en part, arrivant tout d’abord à Marseille chez son beau-frère Hassan, incarné par un Jamel Debbouze qui joue à la perfection l’énervé de service. Au fil de son périple, il va faire des rencontres pleines d’humanité : un couple de forains qui l’initie à l’alcool de poire au point de le rendre malade, un comte désargenté mais au grand cœur – sublime et pudique Lambert Wilson-, des paysans cégétistes énervés, etc. En ces temps de tensions multiples, Mohamed Hamidi a choisi l’apaisement, filmant une France où le racisme et l’individualisme ont déserté le paysage. Aux esprits chagrins qui pourraient lui reprocher sa naïveté, le réalisateur oppose ici son droit à un choix délibéré, celui de la proclamation de belles valeurs, telles l’entraide, la bienveillance et la dignité. Et ça fait du bien ! Seul bémol : la glorification des réseaux sociaux et des émissions TV, heureusement juste en toute fin du film. Enfin, mention spéciale à Fatsah Bouyahmed, acteur très prometteur jusqu’alors connu comme auteur pour ses sketches du Jamel Comedy Club et ses participations au Marrakech du rire.

Les Enquêtes de Setna n° 1
La Tombe maudite (Christian JACQ)

note: 3Au temps des pyramides Laëtitia - 18 août 2016

«Quand le Créateur a souri, les Dieux naquirent ; lorsqu’il pleura, les hommes vinrent à l’existence. Les humains sont les larmes de Dieu ; en se révoltant contre la lumière, ils ont mis fin à l’âge d’or, semé la violence et la haine, et se sont associés aux ténèbres. Mais Dieu ne nous a pas abandonnés, […] grâce aux rites, nous parvenons à combattre le mal et à préserver la vie». Ces paroles du Chauve, maître de Setna sur le chemin de son initiation spirituelle en tant que ritualiste de Ptah, sont autant d’enseignements pour servir et protéger les Royaumes d’Egypte. Quand le vase scellé d’Osiris disparaît, Setna, fils de Ramès II, se sent investi d’une mission : retrouver le vase ainsi que l’homme qui a dérobé «le Livre des voleurs». Dans sa quête, il sera épaulé par Sékhet, jeune prêtresse de Sekhmet et médecin, avec qui une romance va se nouer. On est tout de suite happé par l’intrigue qui reste en suspens dans ce 1er tome pour nous pousser à lire la suite ! Ayant fait des études d’archéologie et d’égyptologie, reconnu dans le monde entier pour ses compétences en la matière, Christian Jacq nous enchante encore avec cette nouvelle saga, avec un talent intact pour conter l’Egypte ancienne, la vie des petites gens comme de la cour de Ramsès II. On notera la touche en plus, à savoir des pages parfois illustrées de dessins tirés de tombes ou du Livre des morts des anciens égyptiens.

Pêcheurs (Chigozie OBIOMA)

note: 3Abel et Caïn au Nigéria Laëtitia - 13 août 2016

«Les Pêcheurs» est dans la lignée des grands romans d’apprentissage du XIXe siècle et se lit comme une tragédie shakespearienne à la sauce africaine : «De la même façon qu’il y a des tragédies grecques ou shakespeariennes, les Pêcheurs est selon moi une tragédie igbo (l’ethnie dont il est issu). Cette forme littéraire ne me semble pas du tout périmée, notamment pour évoquer des sociétés telles celle d’où je viens, où la spiritualité et les superstitions continuent à jouer un rôle très important» confie l’auteur.
On suit donc l’évolution du narrateur, Benjamin, 9 ans, enfant insouciant, dont la vie va rapidement basculer. Désobéissant à leurs parents, Ikenna, Boja, Obembe et le petit Ben vont pêcher dans l’Omi-Ala, fleuve d’abord divinisé, puis maudit pendant la période coloniale. Là, ils croisent Abulu, mi clochard mi sorcier, qui lance une prédiction qui va dès lors s’insinuer tel un poison dans l’esprit de l’aîné Ikenna jusqu’à contaminer toute la fratrie. Chigozie Obioma a su insuffler une dimension tragique à ce récit d’une part par la quasi unité de lieu qui fait du roman un huis clos étouffant se passant dans la ville d’Akure, dans laquelle les voisins passent leur temps à s’épier et se dénoncer, d’autre part par la croyance en la parole la dotant d'un pouvoir performatif. Mais il sait aussi parer ce récit d’atours fantastiques, puisant dans une langue empruntant au conte africain, imagée, avec des expressions ou proverbes en igbo et yoruba. Un premier roman époustouflant, qui a été notamment en lice pour le Man Booker Prize et publié dans 26 pays.

Newland (Stéphanie JANICOT)

note: 3Big Brother européen Laëtitia - 4 août 2016

Après «La Mémoire du monde», sa trilogie sur une immortelle traversant les époques et se nourrissant des différentes cultures du monde entier, l’auteur nous livre à la fois une dystopie et un récit initiatique. Marian, comme tous les adolescents citoyens de Newland, doit être orientée vers une des trois castes. Alors qu’elle pense occuper les plus hautes fonctions et être admise chez les Blancs, elle se voit reléguer chez les Noirs, caste certes créatrice et entreprenante, mais aussi à l’avenir plus incertain et condamnée à la stérilité pour que ses membres se consacrent entièrement aux tâches dévolues. Bien sûr, Marian, révoltée, refuse son sort et n’a de cesse de gravir les échelons pour se rapprocher du gouverneur de Newland, SOL (décisionnaire des castes), afin d’assouvir sa vengeance.
En parallèle, nous suivons 20 ans plus tôt l’histoire de Dan, un Blanc épris de liberté, qui va vivre un amour interdit remettant totalement en question sa loyauté envers Newland et sa vision du monde.
Malgré une intrigue cousue de fil blanc, on se laisse happer par cet univers à la Orwell, où les frontières de Newland sont fermées, les religions interdites, les naissances contrôlées et artificielles, soulevant des interrogations quant à l’évolution de nos sociétés dans un futur proche. Pour les fans de «Divergente».

Mon Trésor (Keren YEDAYA)

note: 3Faire le trottoir à Tel-Aviv Laëtitia - 5 juillet 2016

«Mon Trésor» est un film âpre, sans concession, un focus sur une facette méconnue et tabou de la société israélienne, à savoir la prostitution. Comme son titre l’indique, c’est aussi un film sur la filiation, en l’occurrence le rapport fusionnel entre une mère, Ruthie, qui se prostitue depuis de très longues années, et sa fille Or (dénommée «mon trésor» par sa mère), lycéenne qui enchaîne les petits boulots et s’acharne à vouloir sortir sa mère de cette ornière.
Oui mais voilà, il n’est pas si facile de se sevrer d’une addiction, et Ruthie doit ruser pour ne pas se laisser enfermer dans l’appartement par sa fille farouchement protectrice, pour avoir sa dose de sexe et de vie nocturne.
L’un des points forts du film, c’est sa grande force expressive, qui est inversement proportionnelle à la quantité des moyens déployés et qui se joue d’une économie de mots. Autre point fort, la grande performance d’actrice des deux héroïnes, notamment Ronit Elkabetz, qui d’habitude, avec son port altier, sa grâce naturelle, ressemble comme deux gouttes d’eau à la Callas, est ici méconnaissable, n’ayant pas hésité à malmener son corps pour mieux incarner la vertigineuse dégradation physique (et mentale) d’un être vivant dans des conditions extrêmes et misérables.
Le point faible du film, c’est le déterminisme social qui colle aux personnages et finit par balayer les espoirs du spectateur quant à une issue heureuse du récit.
Néanmoins, un premier film qui, malgré quelques lenteurs et maladresses, pousse à l’empathie et à la réflexion.

Oeuvre non trouvée

note: 4Meurtres en Haute-Savoie Laëtitia - 24 juin 2016

Ce premier roman est né d’une lente maturation, la jeune auteure genevoise ayant tout d’abord étudié la criminologie afin de s’imprégner de son sujet et de mieux entrer dans la peau d’un serial killer. Puis l’idée d’écrire un roman noir comme elle les affectionne depuis l’enfance se précise, avec la découverte de petits villages pittoresques près du Salève, lieux empreints de mystère, parfaits pour y tisser la trame de son intrigue.
A Annecy, Jean Pellet, ancien résistant et professeur d’histoire à la retraite, est retrouvé assassiné d’une balle dans la tête à son domicile. A Saint-Blaise, une lycéenne, Céline, a disparu, puis c’est au tour d’Emmanuelle. Le commissaire Rouiller et son équipe vont s’atteler à résoudre ses deux affaires, leurs investigations les menant à exhumer du passé des histoires peu glorieuses refoulées depuis la Seconde Guerre Mondiale et à affronter un maniaque aux glaçants rituels.
On ne lâche pas un seul instant ce roman noir mâtiné d’épouvante, happé par les rebondissements et révélations successives, qui nous font réfléchir sur les racines du mal et sur le monstre tapi au fond de chaque être humain.

Le Monde extérieur (Jorge FRANCO)

note: 3Littérature colombienne Laëtitia - 7 juin 2016

On connaît peu la littérature colombienne en Europe, hormis Gabriel Garcia Marquez. Jorge Franco est pourtant un écrivain majeur, brassant les prix littéraires, dont le Premio Alfaguara de Novela, l’un des prix les plus prestigieux de la langue espagnole, pour «Le Monde extérieur».

Medellin, années 70, Don Diego, riche héritier colombien, est séquestré par des petites frappes et attend sa libération qui tarde à venir. Inspiré d’un fait divers, ce huis-clos repose sur un habile jeu d’alternance entre les époques et les personnages, permettant de mieux appréhender la personnalité de chacun, leur intériorité et les enjeux en cours. Ce récit tout en tension dramatique, mâtiné d’une touche de fantastique (que l’on nomme en Amérique latine realismo mágico), met en scène deux obsessions : celle de Don Diego pour la culture allemande et une pureté quasi aryenne, et celle du meneur du gang de ravisseurs, Mono, pour Isolda, fille de Don Diego.

La première obsession aura pour résultat la mise à l’écart de ce monde jugé impur d’Isolda, princesse fantasque pour sa famille, jeune-fille étouffant dans ce château sans réel contact avec la réalité, et surtout avec les jeunes de son âge.

La deuxième obsession, à la fois amoureuse et révélatrice de l’envie des exclus d’atteindre un idéal inaccessible (beauté, richesse, loisirs bourgeois) montre un Mono observant inlassablement Isolda jouant dans les bois, communiquant avec des animaux irréels et féeriques, puis plus âgée se dandinant en minijupe sur la musique des Beatles en l’absence de ses parents.

Un livre coup de poing sur la fracture sociale qui atteint son acmé avec la confrontation entre Don Diego et Mono, avec deux visions incompatibles de la Colombie, un constat sur les causes de la violence qui ravage encore aujourd’hui ce pays inégalitaire.

A Peine j'ouvre les yeux (Leyla BOUZID)

note: 3Jeunesse tunisienne Laëtitia - 2 juin 2016

«Quand je vois ce monde de portes fermées, je m’enivre et ferme les yeux.
A peine j’ouvre les yeux, je vois des gens privés de travail, de bouffe, et d’une vie hors de leur quartier.
A peine j’ouvre les yeux, je vois des gens qui s’exilent, traversant l’immensité de la mer, en pèlerinage vers la mort».

Farah, jeune électron libre et leader d’un groupe de rock engagé, chante avec fougue des textes appelant à changer l'état des choses, à libérer son pays de la chape de plomb instaurée sous le régime de Ben Ali. Pour autant, le propos de la réalisatrice n’est pas d’en faire une égérie révolutionnaire, mais de mettre en avant le désarroi de cet élan de vie conscient de sa force (la jeunesse tunisienne), mais qui n'a pas encore été canalisé et qui sera un des puissants leviers de l’avènement du Printemps arabe.
Ce qui fait la force du film de Leyla Bouzid, c’est qu’elle filme avec acuité ce qu’elle a vécu et subi : le quotidien étouffant fait d’interdits, de contrôle social (le regard du voisinage, la crainte du déshonneur), les pleins pouvoirs d’une police corrompue avec ses indics infiltrant tout groupe militant pour mieux les surveiller et sévir. Mais aussi ce qui rend belle la vie à Tunis pour Farah et ses amis : l’ambiance survoltée des concerts comme l’intimité des cafés où l’on ose boire de l’alcool et chanter avec les marginaux, les oubliés du progrès.
Autre atout du film, son énergie communicative, qui découle en grande partie de la musique de l'Irakien Khyam Allami, subtil mélange de musique populaire tunisienne et de rock électrique, qui donne envie de danser et de célébrer la vie.

La Femme sur l'escalier (Bernhard SCHLINK)

note: 3Femme fatale Laëtitia - 25 mai 2016

Voici un roman tout en contraste qui part d’un tableau, une huile sur toile de Gerhard Richter Ema, intitulé aussi «La Femme sur l’escalier». L’auteur s’en est inspiré pour son personnage principal, Irène, jeune-femme blonde à la beauté solaire qui va cristalliser toutes les passions. A la base, un jeune et brillant avocat, le narrateur, doit traiter un cas bien étrange : un riche industriel, Gundlach, achète un portrait, un nu représentant sa femme Irène à un peintre encore inconnu, Schwind, dont elle est à la fois la muse et l’amante. L’un veut récupérer son tableau, l’autre sa femme, l’avocat, naïf et amoureux, propose à la femme fatale de duper les deux goujats et de fuir avec lui en emportant le tableau, et bien sûr sera trahi.
Trente ans plus tard, lors d’une mission en Australie, le narrateur tombe en arrêt sur ce même tableau à l’Art Gallery, qui fait remonter les souvenirs enfouis. Il mène l’enquête et va retrouver sur une île perdue Irène, certes vieillie mais toujours mystérieuse. L’essentiel réside à la fois dans ces tardives retrouvailles, avec les thèmes chers à l’auteur : les trajectoires de vie avec sa part de bifurcations, d’erreurs, de regrets, et le personnage du narrateur très fouillé dans ses questionnements existentiels. Malheureusement, j’ai été moins séduite par les autres personnages, assez clichés, et j’aurais aimé que le passé d’Irène en RDA (terroriste des Fractions armées rouges ? simple militante ?) soit davantage creusé.
Néanmoins un bon roman avec une écriture toute en délicatesse.

La Malédiction des templiers (Raymond KHOURY)

note: 3... Laëtitia - 13 mai 2016

Sur un parchemin craquelé du XIVe siècle, tracés à la plume d’oie, ces quelques mots : «Le chevalier Conrad et ses frères templiers … traversent le pays, chargés de l’œuvre du démon, rédigée de sa main à l’aide d’un poison tiré des tréfonds de l’enfer, et dont l’existence maudite pourrait ébranler le socle même sur lequel a été érigé notre monde». Des siècles plus tard, le tandem constitué de Sean Reilly, agent du FBI, et de Tess Chaykin, archéologue reconvertie en romancière spécialiste des Templiers, cherche sans relâche ce trésor, concurrencé par un agent iranien qui sème la mort autour de lui. Du Vatican à la Turquie, des archives secrètes de l’Inquisition conservées au Saint-Siège aux paysages lunaires de Cappadoce avec ses cheminées de fées, le lecteur se laisse emporter dans une course-poursuite effrénée. Un bon divertissement, qui n’exclut pas une réflexion philosophique sur le rôle des religions dans l’évolution de l’humanité, notamment sur les distorsions apportées aux textes fondateurs dans le but d’une manipulation politique.

Défaite des maîtres et possesseurs (Vincent MESSAGE)

note: 5Un très grand roman Laëtitia - 3 mai 2016

Imaginez : dans un futur indéterminé, notre planète Terre est devenue un monde aux ressources limitées et à la démographie strictement encadrée, suite aux comportements irresponsables humains (gaspillage des ressources énergétiques, surconsommation). L’homme n’est plus l’espèce dominante, tous les pouvoirs se retrouvant entre les mains d’extra-terrestres qui ont divisé l’espèce humaine en trois catégories : les hommes (et femmes) ouvriers, esclaves d’un néo-capitalisme, les hommes de compagnie (comme nos chiens et chats) et enfin les hommes d’élevage, destinés à être transformés en viande.
Le narrateur, Malo, extra-terrestre, fait partie d’une minorité à s’insurger contre le sort réservé à l’homme, des années de travail à l’inspection des élevages et abattoirs ainsi que son attachement pour Iris, une humaine, l’ayant radicalement transformé et conduit à la conclusion «nous nous trompons».
Nous ne dévoilerons pas davantage l’intrigue afin de ne pas gâcher sa montée en puissance, sachez juste que vous avez là une dystopie qui non seulement vous tiendra en haleine, mais qui soulèvent des questionnements philosophiques, éthiques, politiques sur des problématiques urgemment contemporaines. Et qui convaincra peut-être certains lecteurs à devenir végétariens ou en tout cas à consommer de la viande avec davantage de modération.

The Lobster (Yorgos LANTHIMOS)

note: 3Cinéma grec Laëtitia - 14 avril 2016

La scène d’ouverture du film s’apparente à un entretien administratif : inscription à Pôle Emploi, admission à l’hôpital ? Le spectateur comprend vite que le héros, David (Colin Farrell méconnaissable) vient d’être admis dans un centre d’internement destiné aux célibataires. Car dans un futur proche, le célibat n’est plus toléré, et David a 45 jours pour trouver l’âme sœur. Passé ce délai, il sera condamné à être transformé en animal de son choix, en l’occurrence en homard (d’où le titre du film). Comme ses compagnons d’infortune, David tentera de gagner un sursis en participant à la chasse aux «solitaires», marginaux ayant renoncé à l’amour, vivant dans les bois, inspirés des résistants de «Fahrenheit 451» de Truffaut.
La première partie du film, avec la découverte de tous ses règlements loufoques, est un petit bijou d’humour grinçant et de situations absurdes, la seconde partie (dès que l’on bascule chez les «solitaires») s’essouffle un peu.
Néanmoins, quel bonheur pour ma part de découvrir un jeune cinéaste grec aussi inventif, original, qui questionne notre rapport à l’amour, au couple dans une société totalitaire certes futuriste, mais qui pourrait devenir la nôtre avec ces injonctions toujours plus pressantes au bonheur.

Des Larmes sous la pluie n° 2
Le Poids du coeur (Rosa MONTERO)

note: 4Dystopie noire Laëtitia - 13 avril 2016

Après «Des larmes sous la pluie» qui marquait l’incursion de l’auteur espagnole dans le domaine de la SF, voici une nouvelle enquête (qui peut se lire indépendamment) de Bruna Husky, androïde dite réplicante (hommage à Philip K. Dick) qui vit aux Etats-Unis de la Terre, au XXIIe siècle. Son enquête la mène d’abord en Zone zéro, où l’air est extrêmement pollué et où vivent les pauvres qui ne peuvent se payer des résidences où l’air pur est tarifé. Elle prend sous son aile une enfant sauvage, Gabi, et de retour chez elle s’aperçoit que Gabi a été contaminée par une forte dose de radioactivité ; hors depuis 2059 l’énergie nucléaire est interdite …
Flanqué d’un tactile et d’une réplicante (son clone en plus jeune), elle se rend en mission au royaume de Labari, île spatiale dominée par un système de castes, et aux confins de la Finlande ravagée par une guerre permanente, soupçonnant un trafic de déchets nucléaires.
Outre son don pour construire des mondes dystopiques cohérents et extrêmes, l’auteur réussit son pari en faisant de Bruna un androïde plus qu’humain car non dénué de questionnement existentiel et nous livre un thriller écologique et politique d’anticipation. Car Onkalo est bel et bien un projet de site d’enfouissement prévu pour stocker des déchets nucléaires dès 2020. Cela laisse songeur sur le legs aux générations futures…

François le Petit (Patrick RAMBAUD)

note: 3Merci pour ce moment Laëtitia - 8 avril 2016

Savoureuse, caustique, grinçante, hilarante, telle est tour à tour la plume bien aiguisée de P. Rambaud, qui après nous avoir enchantés avec ses chroniques du règne de Nicolas Ier, récidive avec «François le Petit». Si Nicolas Sarkozy, alias «Nicolas-le-mauvais», «l’ulcéré», hante encore ses pages avec ses spadassins, l’abbé Buisson, le duc de Sablé et consorts, si Melle de Montretout (Marine le Pen) fait une apparition, bref si tous les bords politiques sont égratignés, François IV et sa cour tiennent le haut du pavé. La peinture du quinquennat actuel, les intrigues de cour, nous offrent une savoureuse galerie de portraits : la marquise de Pompatweet (l’ex-première dame), le colérique duc d’Évry (Manuel Valls), le connétable de Montebourg sont autant de personnages pittoresques, truculents, qui gravitent dans la galaxie présidentielle. Mais les faits marquants du quinquennat sont aussi passés à la moulinette impitoyable de l’auteur : le mariage pour tous, l’affaire Cahuzac, et pour ma part mon préféré au traitement satirique hautement réussi le duel Montebourg versus Mittal concernant les hauts-fourneaux de Florange. Dans une société qui se délite, qu’il est bon de rire des ridicules et des mésaventures des «grands( ?)» de ce monde !

Je Suis cathare n° 1-4 (MAKYO)

note: 3... Laëtitia - 22 mars 2016

Après avoir adapté en BD les romans ésotériques d’Éliette Abécassis, Pierre Makyo creuse la même veine en nous livrant une nouvelle série (après «Balade au bout du monde») sur les Cathares. Cette BD a le double mérite de faire découvrir aux non-initiés cette doctrine dissidente du catholicisme, tout en plongeant le lecteur dans un récit d’aventures teinté de fantastique. Végétariens, croyant en la réincarnation, prônant des valeurs humaines, les Cathares, principalement concentrés en Occitanie, subissent la persécution de l’Église. De manière schématique, c’est l’histoire de deux frères en conflit, Guilhem Roché, un «Parfait» (Cathare initié) qui s’ignore, car frappé d’amnésie, et d’Arnaut, qui servira l’Inquisition pour se venger de son frère, par dépit amoureux. Guilhem est hanté par un songe où il se voit combattre un chevalier d’ombre et un faucon s’envoler vers une intense clarté. Se découvrant des pouvoirs de guérisseur, la mémoire lui revenant en partie, Guilhem n’a de cesse de rassembler ses souvenirs épars et par-là même de mettre à jour des secrets sur la confrérie. Le trait fin, détaillé, l’éclairage de visages extatiques, bref l’art du dessinateur Calore est aussi une valeur ajoutée à cette sympathique série.

Le second quatuor de Los Angeles n° 1
Perfidia (James ELLROY)

note: 4... Laëtitia - 16 mars 2016

Pour ceux qui ont lu Ellroy, «Perfidia» est le premier opus d’une nouvelle tétralogie intitulée «Le second quatuor de Los Angeles», sorte de «prequel» au «Quatuor de Los Angeles», réintroduisant ici certains de ses personnages les plus emblématiques en plus jeunes. Et pour ceux qui ne connaissent pas l’auteur, celui-ci va vous immerger dans les bas-fonds de sa ville natale, à la veille de l’attaque de Pearl Harbor, dans un climat de guerre et évoquant –ce qui est rare dans la littérature américaine et qui donc a le mérite d’être souligné- la trahison morale du pays vis-à-vis de ses concitoyens d’origine japonaise, internés dans des camps. Ce roman noir commence avec l’assassinat d’une famille de japonais, les Watanabe, et une enquête de terrain (indices, planques, indics) menée par un trio de policiers haut en couleur : William H. Parker, personnage ayant réellement existé, policier intègre qui a lutté contre la corruption au sein même du LAPD, et deux personnages de fiction, Dudley Smith, ripou opiomane et Hideo Ashida, nisei écartelé entre son désir de faire ses preuves en tant que policier de la scientifique et protéger sa famille de la répression. La guerre favorisant l’amoralisme, le lecteur va être emporté dans un maëlstrom d’intrigues proliférant telles des cellules cancéreuses, plongeant dans les microsociétés de Los Angeles : gangs ethniques, factions nazies, eugénistes, starlettes de cinéma vendant leurs charmes dans l’espoir de décrocher le rôle de leur vie, policiers corrompus, pornographes. On se laisse prendre au jeu, progressant dans l’élucidation de l’intrigue et comprenant mieux cette société trouble et multiple grâce à l’alternance des regards contradictoires, des monologues et témoignages mêlés. Et on attend avec impatience la suite!

Zoo (James PATTERSON)

note: 3... Laëtitia - 13 février 2016

Si vous recherchez une intrigue strictement policière, lecteur, passez votre chemin. Mais si vous aimez les thrillers d’anticipation apocalyptique à la Michaël Crichton, avec de l’action, des scientifiques qui tentent de sauver le monde, «Zoo» va vous faire passer un bon moment. On suit avec délice les aventures de Jackson Oz, étudiant en biologie dont la thèse a pour thème le CHA, c’est-à-dire le conflit humano-animal. Décrié par de nombreux confrères, il s’obstine à développer sa théorie de mutation du comportement animal, fruit de perturbations écologiques, jusqu’à ce que l’actualité finisse par lui donner raison : sur tous les continents, les animaux s’organisent en meutes et agressent violemment un seul mammifère, l’homme. Envoyé dans le delta de l’Okavango, il assiste à une attaque anormale de lions (uniquement des mâles) qu’il filmera, sauve des crocs des alligators Chloé, jeune scientifique venue étudier la mutation des oiseaux migrateurs et finit par rejoindre les Etats-Unis. Enfin pris au sérieux, entouré de scientifiques et épaulé par la NSA, Jackson Oz et Chloé vont se livrer à une course contre la montre pour comprendre les causes du phénomène, trouver des solutions et tenter de faire en sorte que la prochaine grande extinction ne soit pas celle de l’homo sapiens…

Coeur tambour (Scholastique MUKASONGA)

note: 4... Laëtitia - 28 janvier 2016

Scholastique Mukasonga a été révélée au grand public par le prix Renaudot 2012 pour «Notre-Dame du Nil», livre évoquant certes les prémices du génocide rwandais, mais dans lequel elle déploie tout son art de conteuse pour en faire une ode puissante et poétique, non misérabiliste, de son pays aux mille collines. Elle revient enchanter cette rentrée littéraire 2016 avec un roman singulier, «Cœur tambour». L’idée du livre germe lors d’un festival de tambours en Guadeloupe, où un tambouyé lui parle de Nyabinghi, princesse qui serait morte en se rebellant contre l’esclavage et le colonialisme au milieu du XIXe siècle, et qui a aussi donné son nom aux percussions rituelles en Jamaïque et au mouvement rastafari. L’auteur se documente alors sur les différents tambours usités aux Caraïbes, au Rwanda et en Amérique, sur leurs légendes et leurs attributs. Elle romance et réécrit l’histoire de Kitami, chanteuse se livrant sur scène à des transes, comme possédée par l’esprit de Nyabinghi. Nous suivons sa trajectoire, depuis sa jeunesse au Rwanda, sa rencontre avec une femme possédée par la déesse, qui lui révèle sa destinée : «Nyabinghi c’est l’esprit de Kitami, et Nyabinghi c’est Muhumuza, mais Muhumuza ce n’est pas un esprit, c’était une femme comme toi et moi, mais c’était aussi une reine remplie de l’esprit de Nyabinghi… Quand elle est arrivée au Mpororo, elle disait qu’elle savait qu’un tambour était caché dans une grotte et que, si l’on entendait battre ce tambour, un troupeau de vaches sans fin sortirait du flanc de la montagne : l’abondance régnerait à jamais alors sur le Mpororo. Muhumuza, je l’ai connue, … elle était prisonnière des Abongereza, des Anglais, ils n’avaient pas capturé son tambour, il est toujours là, caché quelque part, qui le retrouvera ? Ce sera peut-être toi, ou une autre, car Nyabinghi ne meurt jamais». On se plonge avec délice au coeur des racines de l’Afrique et de la négritude.

Jugan (Jérôme LEROY)

note: 3... Laëtitia - 1 décembre 2015

«En 1982, Les Forges avaient fermé, les HLM étaient restées et beaucoup d’ouvriers devenus chômeurs aussi. On aurait dit que cette partie de Noirbourg avait subi un nouveau bombardement. Celui-là était dû davantage à la mondialisation balbutiante qu’aux bombes au phosphore américaines mais il n’avait pas fait moins de dégâts. Des friches immenses, des ruines de briques rouges et au milieu de tout cela, les Gitans». C’est dans ce contexte qu’un fils de notable, Jugan, forme Action Rouge (inspirée d’Action Directe), groupe d’extrême-gauche prônant la lutte armée. Le narrateur, en vacances à Paros, revit en songe sa rencontre avec l’ancien détenu revenu dans sa ville natale, et la tragédie qui s’ensuivit. La non-linéarité du récit, ponctué de va-et-vient temporels (le rêve –contemporain- de Paros, les actions de Jugan jeune, l’histoire de Jugan et d’Assia) favorisent un crescendo dans la tension psychologique. Déjà dans «Le Bloc» (2011), Jérôme Leroy traitait de manière inédite et saisissante la montée de l’extrême-droite ces trente dernières années, avec la figure charismatique d’Agnès Dorgelles, présidente du Bloc aux portes du pouvoir. Avec «Jugan», il aborde cette fois-ci les mouvances d’extrême-gauche et le passage de l’idéologie à la lutte armée dans une ville ravagée par la désindustrialisation. Cet auteur humaniste, communiste convaincu mais sans complaisance non plus pour les actions terroristes, au fil des romans creuse un sillon cohérent, abordant les thèmes qui lui sont chers : la mondialisation, la désindustrialisation, l’intégration des populations issues de l’immigration, l’engagement politique comme un sacerdoce pour changer une société de plus en plus déshumanisée. Une œuvre à découvrir dans son ensemble ou isolée, en prise avec la société et passionnante.

Titus n'aimait pas Bérénice (Nathalie AZOULAI)

note: 3Prix Médicis 2015 Laëtitia - 21 novembre 2015

Comment surmonter un chagrin d’amour, surtout quand on est intimement persuadée que votre amant s’est «sacrifié» par «devoir familial», vous quitte alors que le sentiment amoureux est toujours là ? La narratrice, une Bérénice contemporaine, à la lecture d’un vers de Racine, pressent qu’elle doit se plonger dans l’œuvre du grand dramaturge pour mieux comprendre les instincts qui gouvernent les hommes et se guérir des passions mortifères. «Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie…Racine, c’est le supermarché du chagrin d’amour » se dit-elle à elle-même et à ses amis. L’histoire du chagrin d’amour est très vite éclipsé au profit de la vie romancée de Racine, faite de contrastes et de tiraillements permanents. D’abord, entre son éducation janséniste et le monde du théâtre qui l’ouvre à une vie futile, où les actrices se donnent à lui plus dans l’espoir d’obtenir le premier rôle que par véritable amour. Ensuite, entre son allégeance à Louis XIV, peu compatible avec celle de Dieu, entre le dénuement de la vie monastique qu’il a connu dans sa prime jeunesse et la pompe de la Monarchie qui l’aimante. Collectionnant les amantes, côtoyant La Fontaine,Corneille, Molière et ami de Boileau, historiographe du Roi Soleil, on redécouvre un Racine furieusement moderne et vivant, loin du personnage austère que certains ont dépeint. Pas étonnant que le Prix Médicis 2015 lui revienne !

Eutopia (Jean-Marie DEFOSSEZ)

note: 3... Laëtitia - 10 novembre 2015

Eutopia est une cité radieuse, protégée par un dôme de verre du monde extérieur, abritant exactement 1300 hommes et femmes qui, dès qu’ils atteignent un âge respectable, sont clonés et transférés dans un corps jeune et beau. Orian et Tiris font partie de cette élite qui ne manque de rien, si ce n’est de libre-arbitre et de liberté, puisque leur vie est régie par le CSS, conseil de sages qui décide de tout, jusqu’à la formation des couples. Mais quand des rebelles, les hommesGM, font irruption à Eutopia, ils sont contraints de les suivre dans leur monde. Là, ils découvrent un univers fait de pollution, de travail acharné, puisque les hommesGM sont quasi les esclaves des eutopiens, chargés de cultiver le blé fournissant l’énergie de la cité. Leurs certitudes vacillent, Orian se révélant sous son vrai jour, celui d’un chef fomentant la révolte à venir, désireux de rétablir l’égalité et la répartition des richesses entre Eutopia et l’extérieur. De facture classique, ce roman d’anticipation reste très agréable et prenant, et on suit avec plaisir les aventures d’Orian et son éveil à l’amour pour une femmeGM, Wouane. Autre point positif, le message de sensibilisation de l’auteur qui, docteur en zoologie et militant de la cause environnementale, alerte le jeune public sur les dangers de la surconsommation, de la crise des subprimes et du gaspillage des ressources naturelles. Un bon choix pour le prix AlTerre ado 2015-2016.

Le Printemps des barbares (Jonas LUSCHER)

note: 3Politique fiction Laëtitia - 21 octobre 2015

«Il y avait là cet homme assis devant moi dans la poussière, qui pleurait la perte de ses dromadaires, de son existence, de quinze mille francs suisses. Quinze mille francs suisses, c’est ce que me rapporte mon entreprise. Par jour. […] Et cet homme était ruiné pour une telle somme. Qu’est-ce qui m’empêchait de descendre de la voiture, d’aller vers lui et de lui donner cet argent pour qu’il puisse s’acheter de nouveaux dromadaires ?». Telle est la question que se pose Preising, héritier d’un empire industriel suisse, qui assiste à ce carambolage qui le fait s’interroger sur l’absurdité et le cynisme de la marche du monde. Bien sûr, par peur de passer pour l’Occidental compatissant, il renoncera à aider l’homme et poursuivra sa route jusqu’à son hôtel luxueux au cœur du désert tunisien. Là, il va côtoyer une horde de traders londoniens célébrant un mariage, mais dès le lendemain la Grande-Bretagne est ruinée par une crise bancaire sans précédent, et quand tous les verrous sautent, ces derniers vont se muer en une horde barbare. Ce roman d’un jeune écrivain suisse alémanique sur le capitalisme débridé et ses conséquences, s’appuyant sur le grotesque et la distinction des classes sociales, est une satire jouissive mais néanmoins inquiétante du déclin de l’Occident.

Les Loups à leur porte (Jérémy FEL)

note: 4Rentrée littéraire 2015 Laëtitia - 29 septembre 2015

C’est un recueil de 12 nouvelles, pépite qui se dégage du limon parfois insipide de la rentrée littéraire, 12 histoires apparemment indépendantes les unes des autres, mais en fait machiavéliquement liées. Qu’ont en commun Daryl, adolescent pyromane du Kansas, Claire, étudiante française dont le mémoire porte sur un serial-killer, Damien, adolescent qui, suite à un événement traumatisant en colonie de vacances, va se révéler à lui-même dans toute sa noirceur, Mary Beth, qui voit resurgir les démons du passé ? Ce lien ténu qui unit tous ces personnages et bien d’autres encore, c’est le mal à l’état pur. Citant Joyce Carol Oates, Jérémy Fel nous livre ce qui a été «un des moteurs de (son) écriture, c’est de confronter la part civilisée de l’homme à sa part de sauvagerie». Car «les loups à leur porte», ce sont ces prédateurs aux multiples visages qui s’insinuent dans le quotidien pour le dérégler : pédophile, mère maltraitante, ancien amant, mais ce peut-être aussi l’agneau qui se transforme en loup pour reprendre sa vie en main et ne plus subir. Se réappropriant le genre populaire du roman d’épouvante mais en l’ancrant dans le réel, il manie l’art du suspense psychologique en faisant se resserrer les intrigues, pour mieux nous guider (ou nous perdre ?) dans ce puzzle fictionnel. Jérémy Fel, une nouvelle plume française très prometteuse !

Sumô (Sharon MAYMON)

note: 3... Laëtitia - 19 septembre 2015

Un film israélien qui ne traite pas de querelles entre Palestiniens et Israéliens, de guerre et de terrorisme, voilà qui est rafraîchissant. Si en plus il traite d’un sujet décalé, l’art du sumo, c’est encore plus savoureux. Car si ce long-métrage évoque la dictature des apparences, en particulier l’obésité, il n’est ni moqueur, ni misérabiliste. Herzl et ses amis se réunissent dans un groupe «weight watchers» où ils subissent la tyrannie de la cheftaine. Suite à une humiliation de trop, Herzl l’envoie balader, quitte le groupe avec fracas, suivi de ses amis inséparables dont il devient le leader, trouve un job de plongeur dans un restaurant japonais. C’est là qu’il découvre l’art du sumo. Aidé du patron du restaurant, ancien entraîneur de sumotoris, tous se préparent avec sérieux en vue d’un championnat, mais c’est bien Herzl qui manifeste le plus d’ardeur, car il a bien conscience, comme le dit un proverbe japonais, que «Le chemin qui conduit au sommet a pour nom persévérance». On sera particulièrement sensible aux scènes de préparation et aux combats, qui permettent de découvrir une esthétique inconnue de l’Occident, et qui montrent le respect, l’adoration qu’un peuple porte au rikishi, littéralement «personne instruite dans le domaine de la force». On appréciera aussi les histoires autour de l’histoire, le fait que l’art du sumo les révélera à eux-mêmes, permettant à l’un de faire son coming-out, ou à l’autre de se découvrir une passion pour le métier de cameraman. Un feel-good movie à découvrir.


Vincent n'a pas d'écailles (Thomas SALVADOR)

note: 4Super-héros made in Provence Laëtitia - 1 septembre 2015

Habitué des court-métrages, Thomas Salvador s’est lancé dans le grand bain du long métrage (certes, moins de une heure vingt), avec un film décalé, fantastique, à la poésie burlesque (on pense à Méliès, Keaton, mais surtout à la série américaine « l’homme de l’Atlantide»). Investi à 100%, le réalisateur s’est donné le premier rôle, celui d’un homme à l’apparence ordinaire, mais si «Vincent n’a pas d’écailles», il est doté d’une grâce, d’une force surhumaine au contact de l’eau. Le film retrace le quotidien de Vincent, fait de baignades dans les torrents et les lacs des gorges du Verdon, mais aussi de sa rencontre avec Lucie, dont il tombe amoureux et à qui il livre son secret. La magie opère, le spectateur étant en symbiose avec le personnage, pouvant presque ressentir cette euphorie qui gagne Vincent quand il nage à la vitesse d’un hors-bord ou quand sa musculature est décuplée par les pouvoirs de l’eau. C’est d’ailleurs cette bienveillance dans laquelle nous baignons, qui touche aux sensations éprouvées au contact de la nature, et la plénitude qui se dégage de Vincent, qui font oublier un scénario un peu mince et le constat déprimant que les êtres différents sont condamnés à vivre en dehors de la norme. Aux antipodes du mythe du super-héros américain, on s’amuse du parti pris de Thomas Salvador qui use de vieux trucages (tremplins, poulies) pour propulser son héros, préférant le réalisme magique à l’artillerie lourde des effets spéciaux numériques.

Jolie libraire dans la lumière (Frank ANDRIAT)

note: 4... Laëtitia - 12 août 2015

Si vous cherchez pour cet été un livre solaire, qui célèbre les moments les plus infimes du quotidien, «Jolie libraire dans la lumière» est là pour vous. Solaire, car le thème de la lumière et de ses ombres semble révéler la vérité des êtres, en l’occurrence du personnage principal, celui de la jeune libraire Maryline. Au début de la trame, elle trône «en son jardin de livres, dans l’obscurité moirée du soir, comme si elle était assise dans une toile de Rembrandt à écouter la musique des phrases de cet écrivain de qui, hier encore, elle ne connaissait pas le nom». Maryline nous apparaît comme captivée par le roman dans lequel elle vient de se plonger. D’autant plus que celui-ci semble décrire un épisode de son passé. Sans déflorer l’intrigue, le lecteur sera séduit par la narration qui alterne deux récits, celui de «Jolie libraire dans la lumière» et celui du livre qu’elle lit, et qui finiront par se télescoper. Car Maryline a le don pour attirer les événements et les gens à soi. Ainsi une peintre bretonne de passage dans la librairie lui avoue : «Vous m’êtes apparue de profil. Le soleil tombait sur vos cheveux et mettait leur couleur jais en valeur. Je suis peintre, voyez-vous, et certains instants de lumière comme celui que j’ai saisi à travers votre vitrine me fascinent. Vous m’avez fait songer à un tableau de Georges de La Tour». Ce roman est aussi une véritable déclaration d’amour à la puissance, à la magie des mots, à ceux qui leur donnent chair (les écrivains, les éditeurs) et aux autres passeurs (libraires, bibliothécaires, lecteurs). La délicatesse des sentiments, associée à une écriture simple mais allant droit au cœur, donne un roman porteur d’espérance, à tel point qu’il devrait être remboursé par la sécurité sociale !

A Girl walks home alone at night (Ana Lily AMIRPOUR)

note: 3Quand le tchador devient cape de justicière Laëtitia - 24 juillet 2015

Premier long-métrage tourné aux Etats-Unis mais en persan, voici un film protéiforme, à la fois film de vampire, conte poétique, romance et satire sociale. La trame se passe à Bad City, ville pétrolifère imaginaire d’Iran, semblable à un village désolé de western au cadre menaçant avec sa centrale électrique qui grésille et un charnier au fond qui laisse présager une contamination (vampirique ?). Bad City est le royaume des paumés, des dealers et des prostituées, où curieusement, les seules âmes pures sont une jeune fille vampire en tchador et en skate, les yeux ourlés de khôl, qui veille sur les femmes du quartier en s’abreuvant du sang des hommes qui les maltraitent, et un jeune homme, sorte de James Dean iranien qui lutte pour rester dans le droit chemin. Bien sûr, l’amour sera plus fort que la soif de sang. D’une lenteur planante, tourné en un noir et blanc graphique et expressionniste, avec une économie de mots, porté par une superbe musique (notamment le groupe Kiosk), un beau film hors norme à découvrir. «A Girl walks home alone at night», comme le résume Ana Lily Amirpour, c’est un «bébé iranien rock’n’roll de Sergio Leone et de David Lynch qui aurait eu Nosferatu pour babysitter»

Lazarus n° 5 (Greg RUCKA)

note: 4L'Arme fatale Laëtitia - 18 juillet 2015

Après «Gotham central», Rucka et Lark se retrouvent pour un titre sur la nouvelle collection de Glénat, «Comics», et brossent inlassablement le portrait post-apocalyptique de ce que nos sociétés modernes et corrompues pourraient devenir. «Lazarus» conte l’histoire de deux familles , les Carlyle et les Morray, qui règnent en maîtres sur ce qui reste du continent nord-américain, asservissant la population nommée ici «déchets». Forever est le Lazarus de la famille Carlyle, être fabriqué de toutes pièces au pouvoir sidérant de régénération, bras-droit et guerrière s’occupant autant de pourparlers que de régler leur compte à ceux qui refusent de se plier à la loi d’airain du clan. Le dessin, précis, au cadrage très cinématographique, aux couleurs soignées et sobres, est au service de l’histoire, celle d’un clan aux luttes intestines, mais surtout celle de Forever, être dont l’origine est obscure, machine de guerre et pourtant étant la seule à ressentir pitié et empathie. Sa route va croiser celle du Lazarus de la famille Morray, qui va par l’attirance qu’il lui porte la rendre plus humaine et plus sceptique sur sa mission. Ce 1er volet se clôt sur les interrogations existentielles de Forever, qui seront sans doute développées dans le prochain volet. Son adaptation en série TV confiée au producteur de «The Amazing spider-man» vient d’être signée.

Les Épices de la passion (Alfonso ARAU)

note: 4... Laëtitia - 30 juin 2015

De nombreux films ont pour thématique la cuisine comme catharsis ou révélation d’un don, tels «Le Festin de Babette» ou «Salé, sucré». Il en est de même pour «les Epices de la passion». En effet Tita, en tant que benjamine d’une famille mexicaine, afin de respecter la tradition, est interdite de mariage et est condamnée à veiller sur sa mère, la despotique Doña Elena. Aussi passe-t-elle la majeure partie de son temps aux fourneaux, apprenant l’art subtil de la cuisine auprès d’une vieille indienne. Son amour contrarié pour Pedro, qui ne peut épouser l’élue de son cœur et va choisir une de ses sœurs pour rester auprès d’elle, va révéler un don surprenant. Car quand Tita cuisine, ses émotions passent dans ses plats et provoquent d’étranges phénomènes. Ainsi la scène des cailles aux pétales de rose, mets qui va révéler tous les désirs enfouis de ceux qui les dégustent. Une belle histoire d’amour et de cuisine. Empreint de réalisme magique propre à la culture latino-américaine, un film forcément … à savourer !

Notre histoire n° 1
Notre histoire - 1 (Jean-Christophe CAMUS)

note: 3... Laëtitia - 18 juin 2015

Dans l’essai «Mes étoiles noires», Lilian Thuram brossait le portrait d’êtres d’exception tels Marcus Garvey, Toussaint-Louverture, Nelson Mandela, Billie Holiday, qui lui servirent de modèles étant jeune. La BD «Notre Histoire» trace le même sillon, balayant les préjugés sur la couleur de peau, montrant que le racisme doit être combattu par l’éducation, dès l’enfance, d’où la fondation de l’ex-footballeur et son implication en tant qu’intervenant dans les écoles. Parmi ces figures tutélaires, Mariana, la maman du petit Lico (surnom de l’auteur), dont il évoque le parcours de Guadeloupe vers Paris, sa ténacité pour faire venir ses enfants dans la capitale, en lutte à sa façon, se débarrassant d’un compagnon violent, et enfin l’installation quartier des Fougères, à Avon. C’est là que son chemin croise Neddo, un vieux monsieur (personnage réel ou fantasmé ?) qui lui fera partager son savoir et prendre conscience de son histoire, notamment la lutte armée du général Delgrès et de ses partisans qui, refusant le rétablissement de l’esclavage, préférèrent se faire sauter dans un fort sur les hauteurs de Basse-Terre et mourir en hommes libres. Un prochain tome est à paraître.

Eva (Ersi SOTIROPOULOS)

note: 3... Laëtitia - 4 juin 2015

Ersi Sotiropoulos fait partie de la nouvelle garde de la littérature grecque contemporaine. Engagée en politique et soutenant Syriza, ses romans évoquent la vie quotidienne sur fond de crise. Dans «Eva», Athènes est un personnage à part entière, reflétant la précarité par ses ordures débordant des rues, ses magasins à l’abandon, ses personnages à la marge. C’est le soir de Noël, Eva a subtilisé un carton d’invitation pour une soirée chic dans la maison d’édition où elle travaille. Une fois sur place, avec son mari, ils éprouvent la désagréable sensation d’être transparents, pas à leur place, car non invités et non désirés. On appréciera les contrastes de situation, comme l’incident lors de la soirée chic où au milieu de l’abondance, un homme émacié hurle sa faim et tombe d’inanition, mais aussi la peinture minutieuse des personnages qui vont croiser la route d’Eva, errant à travers les rues, puis se retrouvant dans un hôtel délabré à passer du temps à parler avec Moïra, une prostituée, Titika, jeune femme craintive et médium, et Eddy le voleur. Au récit de cette soirée se mêlent des instantanés de ce qui fait sa vie, ses visites à son père malade et sa difficulté à lui trouver une clinique, ses rapports tendus avec son mari, un incident qui l’obsède et qu’elle dissèque longuement. «Eva» est le roman d’une parenthèse dans la vie d’une femme, avant que tout ne redevienne comme avant.

Hors système (Okwari FORTIN)

note: 3... Laëtitia - 3 juin 2015

Ce récit est le témoignage d’un père, Xavier Fortin, qui n’a eu d’autre choix que la désobéissance civile, et de ses deux fils, qui refusent de retourner chez leur mère dont le nouveau mode de vie n’est pas en adéquation avec le leur. En onze ans, ils vont mener une vie faite de liberté, d’osmose avec la nature, de rencontres avec des gens d’horizons divers (agriculteurs, tziganes, hippies, communauté anarchiste de La Bernette), mais aussi une vie de cavale qui leur fera arpenter le Gers, les Cévennes et autres régions, abandonnant à chaque fois des amis chers, leurs élevages, contraints de changer d’identités. S’ils ne cachent rien de désaccords avec leur père lors de leur adolescence et l’attrait de la société de consommation, Shahi Yena et Okwari retrouveront vite leurs vraies valeurs. Aujourd’hui, le premier vend des animaux d’ornement et rêve de cinéma, le second est devenu cocher. A voir aussi «Vie sauvage», film retraçant leur histoire… disponible à la médiathèque!

La French (Cédric JIMENEZ)

note: 3Mafia sur la Canebière Laëtitia - 2 juin 2015

Second long-métrage d’un jeune réalisateur, «La French», sans être de la trempe d’un «Casino» de Scorsese, ne démérite pas et nous offre une plongée savoureuse et réaliste dans le Marseille des années 70 gangrené par «La French », mafia gérant le trafic d’héroïne jusqu’aux States. L’intrigue commence sur les chapeaux de roue, avec un travelling sur la plage, le long de la corniche, mettant en scène une exécution. Servi par un montage dynamique et nerveux, porté par un casting de «gueules» (Benoît Magimel en homme de main psychopathe, Gérard Meylan crédible en ripoux), le film vaut surtout pour le duel entre le juge Michel, incarné par un Jean Dujardin habité, obsédé par son désir d’éradiquer la pègre, jusqu’à être limite (filatures illégales), et le parrain Zampa, incarné par un Gilles Lelouch alternant main de fer et gant de velours pour tenir son clan. Autre intérêt du film, l’éclairage sur les ramifications de la «pieuvre» jusqu’aux plus hautes sphères politiques, et la reconstitution du Marseille des années 70, avec sa bande-son. L’ensemble, de facture classique, fera oublier quelques maladresses de débutant.

Arbres (Sophie BRUNEAU)

note: 3... Laëtitia - 2 mai 2015

Ce documentaire poétique et contemplatif nous invite à mieux appréhender l’arbre, à la fois dans ce qui constitue son unicité - son immobilité, ses facultés d’adaptation à son environnement- et ses spécificités. Ainsi le palétuvier est appelé «arbre qui marche», car grâce à ses racines qui sortent du sol, il se déplace de quelques mètres par an, véritable prodige pour cet arbre voyageur qui ne sait pas où sa déambulation le conduira. Ou encore «l’arbre étrangleur» de Madagascar, de la famille des figuiers, qui vit en se greffant et en colonisant un autre arbre. Bruneau et Roudil ont arpenté le globe pour nous livrer de superbes visions de baobabs, arbres sacrés au tronc creux dans lesquels on enterrait jadis les griots, séquoias de Californie dont la longévité et l’immensité impressionnent, etc. A voir aussi l’entretien réalisé avec le botaniste F. Hallé, passionnant et instructif, où l’on apprend que contrairement à l’homme qui ne possède qu’un seul gènome, chez l’arbre on trouve des différences génétiques selon les branches, chacune pouvant avoir son propre gènome. A visionner pour le subtil mélange science et poèsie.

Oeuvre non trouvée

note: 4... Laëtitia - 28 avril 2015

Premier volet d’une trilogie autobiographique, «Rosie ou le goût du cidre» évoque l’enfance de l’auteur dans le Gloucestershire des années 30. Benjamin d’une fratrie de 8 enfants, élevé par une mère fantasque, le petit Laurie nous fait partager sa vie quotidienne entre l’école, l’église, les jeux à travers champs et à la toute fin du livre, les premiers émois amoureux, dans une vallée certes idyllique mais éloignée de la modernité et du confort. Tout le sel de ce livre réside dans l’originalité du point de vue, qui passe par le prisme de Laurie enfant, avec ses mots d’enfant, et dans la langue utilisée, poétique et naturaliste : «L’été, c’était l’époque d’une abondance soudaine, d’une brume de diamant et de la poussière dans les yeux, du ballet des guêpes et des libellules, des meules de foin et des graines de chardon, des corps nus dans les frais ruisseaux des collines, des bras nus des filles et des cerises pas mûres, des pique-niques dans les carrières en ruine, des coups de soleil, de la fièvre et des pelures de concombre appliquées sur le front brûlant -le tout accompagné du sentiment que cela ne finirait jamais». Une belle plongée dans le vert paradis de l’enfance.

Swing (Tony GATLIF)

note: 3... Laëtitia - 7 avril 2015

Garçon malicieux et poil de carotte, Max a une passion pour le jazz manouche. Il convainc Miraldo, virtuose de la guitare, de l’initier à son art, en lui rendant en échange des services. Se liant d’amitié avec Swing, jolie garçonne et incarnation de la liberté, il n’aura de cesse de faire le mur de la belle propriété de vacances strasbourgeoise de sa grand-mère pour vivre son plus bel été, fait d’apprentissage de la musique, d’amitié et de découverte de la culture manouche. La joie de vivre des personnages atténue les faiblesses du scénario. Qu’importe, l’essentiel est ailleurs, notamment dans le lien très spécial qui unit Miraldo à Max, lien fait d’estime réciproque, car si Max boit les histoires et les conseils de son aîné, ce dernier est touché par les qualités du garçon qu’il aurait aimé trouver chez ses enfants : une grande curiosité pour les traditions tsiganes et l’envie d’apprendre. Ce film est aussi une ode à la musique permettant la fraternité des peuples, avec ces scènes où la guitare selmer et le oud se répondent, où le chant rom se marie au chant arabe. C’est aussi une ode à la nature et à l’éveil amoureux de Max et Swing avec leurs courses à travers champs, leurs flâneries en barque, et les leçons d’herboriste de Miraldo. Et bien sûr, c’est une ode à la liberté tout court et à la liberté d’être soi-même qu’incarne si bien l’entêtant morceau «les yeux noirs».

The Two Faces of January (Hossein AMINI)

note: 3... Laëtitia - 18 mars 2015

Chester MacFarland (Viggo Mortensen),sexy quinquagénaire, forme avec sa jeune épouse Colette à la blondeur hitchcockienne (Kirsten Dunst) un couple chic venu visiter Athènes. Leur route croisera Rydal (Oscar Isaac), jeune américain vivotant au soleil et servant parfois de guide auprès de touristes qu’il se plaît à arnaquer. Baigné d’une sensuelle lumière méditerranéenne et ancré dans les années 60, le tableau idyllique va peu à peu se fissurer et révéler que les apparences sont trompeuses. Chester se révèle un agent de change véreux et ce voyage en Grèce n’est qu’un prétexte pour échapper à la justice, tandis que Rydal le traîne-savate est un fils de bonne famille qui a préféré fuir son père et sa patrie. Le trio va vite devenir inséparable, lié par un événement tragique et obligé de fuir. On soulignera la beauté du plan-séquence de la gare, moment où la tension sera portée à son comble. Traversé de tensions multiples (attirance de Rydal pour Colette, relations ambigus père/fils entre Chester et Rydal), l’intrigue n’offre aucune rédemption possible. Si vous avez aimé «Le talentueux Mr Ripley» et si cette nouvelle adaptation d’un livre de P. Highsmith reste de facture classique, on se laisse pourtant saisir par le climat de tension dû aux rapports de force et de séduction qui se jouent entre les deux héros masculins jusqu’à la chute finale.

Tel Père, tel fils (Hirokazu KORE-EDA)

note: 4... Laëtitia - 26 février 2015

Après «Nobody knows» où Kore-Eda filmait des enfants livrés à eux-mêmes, «Tel père, tel fils» est une fable douce-amère sur les conséquences psychologiques de la découverte de la non-filiation, tant sur les parents que sur les enfants. Le cinéaste s’attache tout particulièrement à la première famille, bourgeoise, limite ennuyeuse, et aux figures paternelles. Le premier père, Ryota, bourreau de travail, ne se reconnaît pas en Keita, son fils rêveur. Ryota croit en la voix du sang, surtout quand il rencontre Ryusei, son fils biologique, vif et têtu, plus conforme à son esprit de compétition. Quant au père de la seconde famille, c’est un vrai papa-poule qui aime prendre des bains avec ses enfants, jouer avec eux au cerf-volant. Quand les familles décident d’un commun accord d’échanger les enfants les week-ends, puis plus longuement, cela ne va pas de soi, vu les différences de tempéraments et de classes sociales. Tout en délicatesse, le cinéaste nous interroge : qu’est-ce-que la filiation ? Qui dominent des liens du sang ou de l’éducation ? Ce film, qui déploie la palette de toutes les émotions traversées dans ce genre de situation, marque la naissance d’un père, notamment avec la scène très touchante de Ryota découvrant les photos de lui prises à son insu par son fils, dont il ignorait l’étendue de son amour. Un très beau film tout en pudeur, qui a mérité son prix du Jury au festival de Cannes 2013.

Prends garde (Milena AGUS)

note: 4... Laëtitia - 13 février 2015

«Prends garde» est un objet littéraire hybride regroupant 2 textes publiés tête-bêche, l’un étant un document historique, l’autre une fiction, le lecteur ayant toute latitude pour n’en lire qu’un seul ou confronter les 2 visions d’une même histoire, celle d’une révolte de paysans sans terre, louant leurs bras à des propriétaires terriens pour qui ils ne sont que des bêtes de somme, et finissant par le lynchage des sœurs Porro, incarnation de cette caste privilégiée. Andria, village des Pouilles, cumule tout pour que la mutinerie éclate : dans cette période d’après-guerre et de famine, l’impunité des notables, l’afflux de déserteurs, d’Albanais et de Grecs, de Juifs rescapés des camps en partance pour la Palestine, accentuent les tensions. Ceci est minutieusement rendu par le travail de L. Castellina, s’appuyant sur des archives d’époque. Pour ma part, j’ai une préférence pour la partie romancée, M. Agus donnant chair et humanité aux personnages des sœurs Porro, vivant dans une bulle qui les maintient dans l’ignorance des réalités de l’époque, toutes occupées par leurs prières et leurs broderies. Seules les visites journalières de leur amie (dénommée « elle»), excentrique et fantasmant sur Di Vittorio, syndicaliste communiste italien, apportent une bouffée d’air fraîs dans leur palais, jusqu’au drame. Un livre singulier sur un événement méconnu de cette sombre période italienne.

Le Maître (Patrick RAMBAUD)

note: 3... Laëtitia - 30 janvier 2015

Connu pour sa «Chronique du règne de Nicolas Ier», regard corrosif sur la politique actuelle, et connu comme pasticheur des Lettres, Rambaud nous livre ici une vie romancée du penseur Tchouang Tseu. Dans une Chine antique ravagée par les guerres de clans qui divisent le pays en royaumes, il suit la voie toute tracée de fonctionnaire au service des puissants, tout comme son père. Les courtisanes, les princes, forment un théâtre de la cruauté auquel bien vite il ne veut plus participer. Arpentant le pays, apprenant de ses diverses expériences et métiers exercés, mais aussi de l’observation de la nature, il suit la voie du tao, mais à sa façon, anarchique. Laissez-vous saisir par ce style fluide et poétique, ainsi quand il compare la vallée des quatre-vents à un orchestre : «Quand la terre respire, elle joue une symphonie.[…]La brise caressait les falaises et sonnait comme des flûtes, puis le vent frissonnait au ras des lotus, jouait entre les aiguilles de pin, ébouriffait les saules comme des chevelures de danseuses folles. Un son ample venu des lointains se précisait. Là où la forêt se clairsemait, les notes sourdes du vent battaient les feuilles larges et faisaient tinter comme des grelots les plus petites au bas des troncs. Sur les feuilles déjà sèches le son se changeait en plainte, et quand il léchait les grottes ouvertes comme des bouches à flanc de falaise, il en sortait un grognement de tambours».

Les Combattants (Thomas CAILLEY)

note: 3... Laëtitia - 24 janvier 2015

Arnaud est un jeune homme posé qui travaille dans l’entreprise familiale. Alors qu’il construit un abri de jardin pour des particuliers aisés, il aperçoit leur fille, Madeleine, faisant des longueurs dans la piscine, avec un sac à dos lesté de briques. Intrigué, il découvre une jeune femme singulière, persuadée que la fin du monde est proche, et qui s’apprête à faire un stage militaire de survie de 15 jours pour parer à toute éventualité. Attiré par Madeleine, Arnaud s’inscrit aussi au stage. Adèle Haenel (vu dans «Suzanne»), toute en muscles et en pragmatisme rugueux, incarne à merveille ce personnage pessimiste mais réaliste (après tout, la destruction de la nature par l’homme, et de l’homme par l’homme, n’est qu’une question de temps). Kevin Azaïs (vu dans «La Marche») est juste dans son interprétation de jeune homme doux, se révélant dans ce stage de survie comme volontaire et solidaire. Dans une forêt des Pyrénées-Atlantiques, comme une parenthèse hors du temps, ces deux individus opposés vont finir par se rapprocher et l’amour va permettre à Madeleine de fendre (un peu) son armure. Un premier beau film inclassable qui donne envie de voir ce que va nous réserver Thomas Cailley.

Le Dernier Homme n° 3
MaddAddam (Margaret ATWOOD)

note: 3... Laëtitia - 22 janvier 2015

«Maddaddam» est le dernier volet de la trilogie «Le Dernier homme», mais cette dystopie peut être lue indépendamment. Décimée par un virus fulgurant conçu par Crake, la population terrestre ne compte que quelques rares survivants : les Maddaddam, des biogénéticiens considérés comme l’élite et travaillant pour les Corps, devenus par la suite des saboteurs, les Jardiniers de Dieu, adeptes de la décroissance, végétariens et pacifistes, les Paintballers, sortes de gladiateurs recrutés parmi les pires psychopathes, les Crakers, race créée par Crake, et enfin des animaux génétiquement modifiés. Dans cet univers post-apocalyptique, des alliances se nouent pour lutter contre les paintballers, l’adoption du système D et des modes de vie ancestraux sont autant de tentatives pour survivre et recréer un monde décroissant, plus juste. Car au vu de l’engagement de M. Atwood concernant les questions environnementales, «Maddaddam» ne doit pas être lu seulement comme un bon divertissement de SF, mais bien comme un avertissement sur les dangers de la surconsommation, car nos ressources ne sont pas extensibles à l’infini. A lire absolument. Et à noter l’adaptation prochaine de la trilogie en série TV par Darren Aronofsky, réalisateur de «Black Swann» et «Requiem for a dream».

La Grande bellezza (Paolo SORRENTINO)

note: 5... Laëtitia - 18 décembre 2014

Sorrentino nous livre un bel ovni cinématographique : à la fois déclaration d’amour à la ville de Rome, filmée en travellings avant, arrière, latéraux, mais aussi peinture d’une société mondaine imprégnée de berlusconisme, sa comédie humaine fait mouche. Tony Servillo, qui est Jep, dandy parfois cynique mais au cœur tendre, incarne à la perfection cette élite décadente, à la différence qu’il ne se fait pas d’illusions sur la vacuité de sa vie. Pour oublier un amour de jeunesse et sa difficulté d’écrire, il s’étourdit de fêtes, de conversations mondaines où il se plaît à semer la zizanie, et de happenings artistiques à la limite du ridicule (scènes mémorables de la performance de la fille nue fonçant contre un mur et de l’enfant peintre). Cette farce satirique aux outrances felliniennes n’empêche pas des moments de tendresse (sa relation avec une strip-teaseuse, fille d’un ami de jeunesse), de grâce (sa rencontre au détour d’une ruelle avec Fanny Ardant, la visite nocturne de palais majestueux qui n’offrent leurs fastes qu’à quelques happy-few tel Jep). La musique, tantôt festive, tantôt mystique, fait le lien entre ces moments de vie, parfois superficiels, parfois riches en révélation pour Jep (révélation sur la beauté, qui peut résider dans des choses douloureuses ou insignifiantes, retour à certaines valeurs chrétiennes, etc). A voir absolument !

Kanopé (Louise JOOR)

note: 3... Laëtitia - 11 décembre 2014

C’est toujours un plaisir de découvrir le premier jet d’un artiste, son univers, sans références ni a-priori. Louise Joor est une jeune auteure belge de BD de 25 ans, et Kanopé peut être résumé comme un one-shot d’anticipation, mêlant aventure et romance sur fond de crise écologique. Kanopé, l’héroïne principale, vit en Amazonie en 2137, dans une jungle irradiée suite à un accident nucléaire ; paradoxalement, la jungle s’est adaptée par mutation et est presque devenue un eden comparé au reste du monde, surpeuplé, aux ressources naturelles limitées. Jean, un hacker en fuite qui incarne l’extérieur, y trouve refuge. Aidée de Kanopé, la fin laisse supposer que par l’union de leurs compétences, ils pourront peut-être sauver le monde… Outre l’histoire, le dessin soigné, les planches composées de cadrages dynamiques, l’omniprésence du vert de la canopée, et quelques passages quasi-muets, ponctués d’onomatopées d’animaux, nous aident à nous immerger dans cette jungle luxuriante et futuriste (perroquets à deux têtes, rares humains mutants) comme si nous participions à l’aventure ! Et à rêver que l’auteur transformera ce one-shot en suite !

Oeuvre non trouvée

note: 4... Laëtitia - 3 décembre 2014

Adapté d’un roman jeunesse à succès de Sutcliffe, ce film part d’un incident historique (la IXe légion romaine volatilisée au-delà du mur d’Hadrien, ainsi que son emblème, l’aigle) pour nous entraîner dans la quête du centurion Marcus Aquila, qui 20 ans après les faits, décide de partir à sa recherche accompagné de son esclave Esca.Ce qui fait l’originalité de ce péplum intimiste, c’est la vision singulière du réalisateur et sa réflexion politique qui mettent à mal les clichés sur d’un côté le peuple civilisé, et de l’autre les «barbares».Car c'est une critique de l’impérialisme romain, et indirectement, de l’impérialisme américain. Le fait que les Romains soient tous interprétés par des acteurs américains et les Celtes par des Anglais ne peut être considéré que comme une véritable prise de position de MacDonald. Le choc des cultures entre Marcus et Esca laisse peu à peu place au respect, à l’amitié, notamment quand ils devront intervertir leurs rôles de maître et d’esclave pour sauver leur peau lors de leur passage chez les Pictes, hommes peints en bleu et dont le chef est interprété par un Tahar Rahim méconnaissable. Pour les fans de batailles quelques belles scènes, même si l’intérêt du film est plus centré sur la complexité des rapports humains et la nature comme personnage à part entière (ah! l’époustouflante beauté des Highlands, les forêts dignes des contes de fées).

Her (Spike JONZE)

note: 4L'Amour 2.0 Laëtitia - 14 novembre 2014

Dans un futur proche, Spike Jonze imagine un monde où, pour pallier l’ultramoderne solitude, l’homme peut établir une relation privilégiée avec son ordinateur, via un logiciel de compagnie élaboré. Toute la quintessence de cette solitude est symbolisée par la scène où, sortant des couloirs du métro, les hommes sont absorbés par leur conversation avec leur système d’exploitation virtuel, en oubliant leurs frères de chair. Car chaque machine a une voix unique, avec un système d’évolution et d’adaptation à l’humain. Théodore, incarné par Joaquin Phoenix, a du mal à faire confiance après son divorce. Ecrivain public dans une entreprise qui le paye pour rédiger de fausses lettres manuscrites personnalisées, (nostalgie d’un monde révolu ?) il a suffisamment d’imagination pour être tenté par cette expérience. La voix chaude, sensuelle de Scarlett Johansson, absente à l’écran et paradoxalement très incarnée, jette le trouble : est-elle capable d’éprouver des émotions ou se contente-t-elle de les singer ? Tout le sel du film est dans ce débat et dans la relation amoureuse qui se noue entre les deux protagonistes, nous questionnant sur l’éthique, le virtuel. Un logiciel pourra-t-il un jour être doté de sentiments ? Une relation amoureuse sera-t-elle possible entre un humain et un programme ? Film déroutant, mais passionnant.

Promised Land (Gus VAN SANT)

note: 4... Laëtitia - 17 octobre 2014

Gus Van Sant est un cinéaste militant : pour la cause homosexuelle (Harvey Milk), ici pour la cause écologique, avec pour toile de fond l’exploitation du gaz de schiste. Même si le film soulève des interrogations bien légitimes sur ce sujet, c’est le dilemme moral (et l’évolution personnelle du personnage central, Steve Butler, incarné par un Matt Damon toujours aussi juste et sobre dans son jeu), qui est le cœur du film. Car il aurait été trop simpliste de faire de Steve Butler un héros cynique qui leurre les paysans au profit du capital, en l’occurrence Global, compagnie pétrolière. Non, Butler, en bon fils de fermier, croit sincèrement que le monde rural vit son déclin et qu’il offre aux paysans une porte de sortie. Mais l’irruption d’Alice, l’institutrice du village, pour qui il craque, d’un militant écolo obstiné et d’un retraité de Boeing poussant la population du village à réfléchir et à demander un vote démocratique lors d’une assemblée compliquent la donne et la résistance s’organise…

La Cour de Babel (Julie BERTUCCELLI)

note: 4... Laëtitia - 10 octobre 2014

En posant sa caméra dans une classe de primo-arrivants de la banlieue parisienne, Julie Bertuccelli nous fait partager la fragile mais néanmoins enrichissante expérience de l’apprentissage du français, mais aussi de l’intégration à une nouvelle culture d’élèves venus de tous les continents. Elle donne la part belle aux enfants, mais aussi aux parents lors des réunions parents-profs : petit à petit, tous livrent leurs espoirs (Miguel a quitté le Vénézuela pour intégrer le conservatoire en espérant devenir un grand violoncelliste, Andromeda la Roumanie afin de s’assurer un bel avenir), mais aussi leurs difficultés et leurs craintes (Xin a laissé sa grand-mère en Chine et se sent seule en France, car sa maman travaille beaucoup et elle est souvent seule chez elle, ou encore Djenabou dont la tante la pousse à bien étudier, afin d’éviter de retourner au pays avec pour triste perspective excision et mariage forcé). S’il est délicat de restituer en une heure et demie le travail de toute une année scolaire, ce documentaire poignant et instructif est à montrer à tous les élèves, tous les professeurs, et aussi à tous ceux qui ont une vision erronée de l’immigration.

Oeuvre non trouvée

note: 3Esprit es-tu là ? Laëtitia - 26 septembre 2014

Lou est une lycéenne rousse (allusion aux sorcières ?) qui mène une vie ordinaire : les cours, les footings avec les copains, un «sprint russe» (jeu consistant à avaler un maximum de verres de vodka alignés tout le long d’un couloir), jusqu’au jour où la bande à Lou organise une séance de spiritisme lourde de conséquences. Suite à cette séance, Lou croit rêver alors qu’elle a une prémonition et son univers fait d’insouciance bascule. Fantômes, hypnose, secrets de famille tissent une histoire singulière et attachante qu’il convient de ne pas déflorer, servie par le dessin délicat de Maud Begon, avec des spirales de couleurs mettant l’accent sur les parties teintées de mysticisme de l’histoire. Et quand la petite fille rousse de l’époque médiévale des premières planches revient hanter Lou à la toute fin du 1er tome, on attend avec impatience la suite.



Le Règne des Illuminati (Éric GIACOMETTI)

note: 4... Laëtitia - 25 septembre 2014

« Le monde se divise en 3 catégories de personnes : un très petit nombre qui produit les événements, un groupe un peu plus nombreux qui veille à leur exécution, et enfin une large majorité qui ne comprendra jamais ce qui s’est passé en réalité » (Nicholas Butler, prix Nobel de la paix 1931). Le ton est donné pour ce 9èm opus des enquêtes du commissaire Marcas. Nous sommes bien en présence d’un thriller ésotérique, avec des thèmes récurrents : le conspirationnisme, les sociétés secrètes, la vérité travestie par les apparences. Le plaisir de la lecture est double avec deux enquêtes se juxtaposant dans le temps : celle de Ferragus se passant sous le règne de la Terreur, et celle contemporaine du commissaire Marcas qui nous offre une plongée dans l’histoire des Etats-Unis. L’évocation des travaux du professeur Oughourlian (notamment sa théorie du troisième cerveau) et de comment la science pourrait être dévoyée au profit des puissants, étoffe davantage un roman déjà très dense. Ne boudons pas notre plaisir face à ce roman protéiforme (à la fois roman historique, ésotérique, polar). Ce roman est également disponible en version numérique sur les liseuses de la médiathèque.

Anaïs s'en va-t-en guerre (Marion GERVAIS)

note: 3... Laëtitia - 6 septembre 2014

Voici un beau portrait de jeune-femme : Anaïs ne rêve pas d’une vie bien rangée, d’une armoire pleine de vêtements dernier cri. Non, son rêve serait de posséder un jour sa propre terre, qu’elle loue pour le moment. Car Anaïs cultive des plantes aromatiques et médicinales qu’elles transforment en tisanes. Reine des près, marjolaine, pavot de californie n’ont pas de secret pour elle. Malgré les embûches, elle travaille comme une forcenée, car comme elle le dit « Je préfère travailler 60 heures pour ma passion que 35 heures pour des cons !». Elle nous touche dans son rêve d’une société alternative, où l’hyper-consommation, la rentabilité, la vitesse seraient bannies. Mais où la passion, l’enthousiasme, l’épanouissement de l’humain l’emporteraient. Vous pouvez suivre la trajectoire d’Anaïs sur son site :http://www.lestisanesdanais.fr/

Des Abeilles et des hommes (Markus IMHOOF)

note: 3... Laëtitia - 29 juillet 2014

Les abeilles participent pleinement au grand cycle de la vie : en butinant, elles fertilisent les fleurs et cette pollinisation fait qu’un tiers de ce que mange l’homme (fruits, légumes) existe. Mais le cercle vertueux peut être brisé : pesticides, parasites, pollution y concourent. Le réalisateur suisse, dont le grand-père a su lui transmettre sa passion en ayant construit une maison abritant ses 150 ruches, montre une image inquiétante de l’apiculture, devenue hélas dans une grande partie du monde une filière sans âme à l’égale de la filière agroalimentaire. Quelle ne fut pas ma stupeur d’apprendre que l’homme fait ingurgiter à ses abeilles un mélange d’eau sucrée et d’antibiotiques, comme pour les poulets en batterie, avec les conséquences désastreuses que l’on sait ! Heureusement, le reportage montre des exemples d’apiculture respectueuse, comme en Suisse ou encore en Australie, où des scientifiques bâtissent une arche de Noé pour abeilles, sur une île déserte. A voir, car très instructif.

Les Jacarandas de Téhéran (Sahar DELIJANI)

note: 4... Laëtitia - 16 juillet 2014

Tout comme «En censurant un roman d’amour iranien» de Mandanipour mêle la plus subtile poésie à l’âpre réalité d’une société qui pousse ses membres à la schizophrénie, «les Jacarandas de Téhéran», premier roman en partie autobiographique, est dans la même veine. L’Histoire y côtoie des histoires, nous livrant de magnifiques portraits de femmes et d’hommes courageux sur trois générations, avec un télescopage dans le temps qui permet au lecteur de mieux comprendre l’évolution de certains personnages, comme Leila qui s’abandonne pour l’amour d’Ahmad, et qui, l’ayant perdu, se consacrera à élever les enfants de la famille dont les parents sont emprisonnés pour opinions politiques. Parmi ces nombreux portraits, on retiendra le personnage d’Azar, qui en 1983, lors de la guerre Iran-Irak, donnera naissance à la petite Neda en prison (personnage inspiré de la propre histoire de l’auteur). Ou encore la découverte par une jeune femme des causes véritables de la mort de son père, celui-ci ayant été exécuté comme 30 000 autres citoyens en 1988, lors de l’une des plus terribles purges sous le règne de l’ayatollah Khomeyni. Mais tel le jacaranda qui se renouvelle pour donner des fleurs flamboyantes, malgré le sang versé, les histoires d’amour contrariées, l’exil, ces hommes et ces femmes permettront l’éclosion d’une nouvelle ère.

Suzanne (Marie-Ange GUILLAUME)

note: 3... Laëtitia - 5 juin 2014

«Suzanne» est une chronique familiale d’une rare intensité, tournant autour du trio père/filles. La jeune réalisatrice excelle à filmer le quotidien des gens ordinaires, son héroïne Suzanne d’abord (Sara Forestier) filmée sur un quart de siècle, que l’on voit dès les premiers plans enfant dansant lors de la fête de l’école, puis adolescente tombant enceinte et décidant de garder l’enfant, ensuite à 20 ans, plaquant tout pour un bad boy de Marseille à la gueule d’ange. Ensuite, le père veuf routier d’une grande pudeur élevant ses deux filles, incarné par un magistral François Damiens, aussi bon acteur de drame que doué pour ses caméras cachées qui l’ont révélées au grand public. Mais aussi Adèle Haenel qui n’a pas démérité son César de meilleure actrice dans un second rôle en tant que sœur de l’héroïne, à la fois douce et forte, pilier de cette famille. Et que dire de Sara Forestier, qui a là un de ses plus beaux rôles, où elle révèle toute sa fougue et son naturel d’actrice. Avec une narration qui fait la part belle à l’ellipse, avec le choix de mettre en lumière la force des sentiments (passion, désespoir) plutôt que ses conséquences (le fait de quitter travail et ville, puis la cavale), un film qui vous marquera longtemps.

Oeuvre non trouvée

note: 3... Laëtitia - 21 mai 2014

Après une longue pause cinématographique, l’actuelle présidente du festival de Cannes s’est attelée en 2013 à la réalisation de sa première série TV. Le postulat de départ ? L’image d’une adolescente enceinte s’enfonçant avec son uniforme d’écolière dans le lac Wakatipu, censé renfermer le cœur d’un démon. Suite à la disparition de Tui, Robin Griffin, détective aux mœurs, s’empare de l’enquête. Sans en déflorer l’intrigue, on peut dire que Jane Campion excelle dans l’art du contraste : la luxuriance de cette île de Nouvelle-Zélande, presque un eden, ne dissimulera qu’un temps les névroses de ses habitants et la noirceur de leurs actes. Dans la veine de «Twin Peaks», ce thriller atmosphérique nous tient en haleine par ses multiples rebondissements, ses images hypnotiques, mais aussi par un casting de rêve : Elisabeth Moss, la Peggy de «Mad Men», parfaite en inspectrice obstinée dans sa quête de retrouver Tui mais fragilisée par son passé qui refait surface ; Holly Hunter, muse de la réalisatrice, qui incarne un gourou à la tête d’une colonie de femmes abîmées par la vie, et Peter Mullan, qui incarne le père de Tui, patriarche manipulateur et néanmoins attachant d’une tribu vivant du trafic de drogue. Une série atypique et anxiogène jusqu’à un final déroutant.

Chant des mers du Sud (Marat SARULU)

note: 3... Laëtitia - 8 avril 2014

En Asie centrale, dans un petit village kirghize, des voisins, un couple de russes, un couple de kazakhs, vivent en harmonie jusqu’au jour où Maria donne naissance à un enfant qui, au lieu d’être blond comme les blés, a le type eurasien. Le poison du doute s’instille : quinze ans plus tard, l’enfant s’enfuit dans la steppe avec des nomades, éleveurs de chevaux, Maria et Ivan ont du mal à communiquer autrement que par les injures et les coups. Cette déliquescence des personnages est comme un écho au délabrement de l’empire soviétique, à l’absurdité du système (Ivan est employé au barrage du village, mais il ne met jamais les pieds à son travail), mais l’on peut néanmoins reproché au cinéaste d’avoir un peu trop appuyé sur le cliché de l’âme slave avec ces scènes de beuveries, de bagarres. Toutefois, quand Ivan entreprend un long voyage de l’autre côté de la frontière pour rendre visite à son grand-père, celui-ci lui conte l’histoire tragique de sa famille, le secret de ses racines interethniques, et le récit bascule dans un voyage atemporel et initiatique. On est saisi par le souffle épique de certaines scènes retraçant ce qui ressemble à une épopée : deux hommes combattant à cheval pour l’amour d’une femme, les chants traditionnels qui accompagnent les chevauchées dans la steppe, les scènes de massacres au temps de la colonisation russe. Malgré quelques maladresses, un film touchant, très «peace and love».

Monde sans oiseaux (Karin SERRES)

note: 3... Laëtitia - 4 avril 2014

Ce premier roman onirique, au souffle poétique, est un petit bijou inclassable : sommes-nous en présence d’un conte moderne, d’une fantaisie teintée de mystère, d’une satire de l’ancien monde rural ? L’histoire est celle de «Petite boîte d’os», de sa naissance à sa mort, et de sa communauté préservée du monde moderne (que l’on devine proche, et méprisant les habitants du lac considérés comme arriérés), quelque part près d’un lac nordique. L’eau est omniprésente, les habitants lui vouant quasiment un culte. Il est source de richesses, puisque l’on y pêche du poisson de père en fils, mais aussi parce-que dans ce monde futuriste on y élève des cochons amphibies et fluorescents. Mais il est aussi sacré, puisqu’on y engloutit les morts, et source d’angoisse, car il y a déjà eu un déluge et que les maisons sont montées sur roues afin d’être déplacées en cas de catastrophe naturelle. Ode à la luxuriance de la nature et à la pureté des sentiments, un roman atypique rafraîchissant, à l’écriture alliant sensualité, réalisme âpre et surréalisme à la Boris Vian.

Notre École (Mona NICOARA)

note: 3... Laëtitia - 22 mars 2014

Le droit à l’éducation est un droit universel pour tous les enfants. En 2006, 30 villes de Roumanie ont reçu des fonds de l’Union Européenne pour permettre l’intégration des enfants roms dans les écoles. Les deux cinéastes ont choisi Targu-Lapus, au nord de la Transylvanie, pour filmer sur 4 ans le projet de reconstruction de l’ancienne école devant permettre la mixité sociale entre roms et roumains, et le processus complexe d’intégration dans l’école du centre-ville. En effet, comment venir propre à l’école quand on n’a pas l’eau courante à la maison ? Comment ne pas être en retard quand on doit effectuer plusieurs kilomètres à pied? Comment peut-on s’intégrer dès lors qu’on est confronté au racisme ordinaire dès son plus jeune âge? Et comment penser la réussite scolaire et professionnelle quand ses parents ne l’ont jamais vécu ? Les cinéastes ont évité de porter un regard politique sur les faits, les enseignants ne sont pas stigmatisés, chacun exprime son point de vue, ce documentaire n’étant pas fait pour culpabiliser le public, mais lui permettre d’entamer sa propre réflexion. Malheureusement, le constat pour Targu-Lapus est accablant : la nouvelle école reconstruite avec l’argent de l’Europe s’avère être un futur ghetto (d’ailleurs, elle n’ouvrira jamais) et les enfants roms finiront par être intégrés dans un établissement pour enfants déficients mentaux. Un documentaire en forme d’uppercut.

Les Pieds-noirs à la mer (Fred NEIDHARDT)

note: 3... Laëtitia - 18 mars 2014

Le titre de ce roman graphique annonce la couleur : «Les Pieds-noirs à la mer!» est le délicat slogan qui fleurissait sur certaines banderoles de la CGT sur le port de Marseille en 1962, pendant que son maire, Gaston Deferre, se fendait d’un «qu’ils aillent se faire pendre ailleurs». Lâchés par De Gaulle, forcés à un exil humiliant, certains Pieds-Noirs développent une certaine aigreur. C’est le cas des grands-parents de Daniel qui ne sont pas à un paradoxe près : le grand-père, antisémite en paroles, a épousé une Juive de Constantine qui elle, médit sur les Arabes, mais a pour amie Madame Benjeloun et parle arabe comme elle respire. Daniel, 19 ans, vient trouver refuge chez ses grands-parents à Marseille suite à une fugue.Voulant faire table rase du passé et essayer de réconcilier les communautés, il tentera de résoudre un psychodrame familial : son cousin Stéphane est sur le point d’épouser Khadija, kabyle, et pour cela est renié par sa famille (ce qui nous vaut la savoureuse imprécation de la grand-mère «Que le cul lui tombe dans un panier d’oursins»). Tout le monde en prend pour son grade, il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Du point de vue formel, on notera la prédominance d’un séquençage clair à l’aide de couleurs dominantes différentes selon les époques et les lieux, et le choix de personnages à têtes d’animaux pour dire la part d’animalité qu’il y a en chacun de nous.

Les Lois de la frontière (Javier CERCAS)

note: 4... Laëtitia - 4 mars 2014

«Les Lois de la frontière» de Javier Cercas est une pépite de plus extraite de la veine de la littérature espagnole, à la fois épopée d’un bandit légendaire, Zarco, radiographie d’une jeunesse post-franquiste sacrifiée, mais avant tout un magnifique roman d’apprentissage. Eté 1978, Gérone, Catalogne, pour fuir les brimades d’un camarade de lycée, le cruel Batista, Ignacio Cañas, fait un détour par ce que l’on nomme «la frontière», c'est-à-dire passe du côté des quartiers mal famés de la vieille ville. Paradoxalement, alors que cet adolescent des classes moyennes n’avait pas su trouver protection et compréhension auprès de sa famille, il trouve tout cela auprès de Zarco et de sa bande, délinquants affranchis. Le temps d’un été, il goûte à l’ivresse des vols de voitures, nuits de débauche, puis rentrera dans le droit chemin en devenant avocat pénaliste. Des années plus tard, un jeune écrivain est chargé d’écrire la biographie de Zarco, avec le regard croisé et forcément différent des protagonistes : Cañas, le policier qui a procédé à l’arrestation de Zarco et le directeur de la prison. Très beau livre sur l’influence des origines sociales, la part du destin, la fragilité de l’adolescence.

La Fabrique du monde (Sophie VAN DER LINDEN)

note: 3... Laëtitia - 4 février 2014

«Comme chaque fois, je ne peux m’empêcher d’imaginer l’étranger qui portera la pièce que je suis en train de commencer. Cette chemise-là sera portée par un homme qui aime les jeans et qui fait de la moto. […] Si ça continue, je vais faire comme Yuan qui, un jour, a glissé en douce un mot dans la poche d’un pantalon pour hommes, en pensant que le Prince charmant qui le porterait trouverait le message et hop, sauterait dans le premier avion pour venir la sauver? Est-ce qu’il leur arrive de penser à nous?». Cette réflexion de Mei, héroïne principale du roman, pose le décor. Nous sommes dans une immense usine de textile, quelque part en Chine, et c’est le quotidien de ces petites mains qui nous est conté, avec ses cadences infernales (à tel point qu’une d’entre elles aura un tendon sectionné), son contremaître qui les harcèle pour un meilleur rendement. Malgré tout, elles rêvent comme leurs consoeurs occidentales : d’une belle robe, de l’amour. A la faveur du Nouvel An chinois qui la laisse seule à l’usine avec Cheng, le nouveau contremaître, Mei va s’éveiller à l’amour. Avant de déchanter. Très beau premier roman, qui nous poursuit longtemps après et nous interroge : sommes-nous prêt à accepter cela pour céder à la mode à bas coût?

Medianeras (Gustavo TARETTO)

note: 3... Laëtitia - 4 février 2014

Medianeras est un premier film argentin, dont Buenos Aires est un protagoniste à part entière. En effet, dès le générique d’ouverture et son étude sociologique des médianeras, synonyme de «murs aveugles» truffés de fenêtres insolites, de publicités clinquantes, le spectateur est plongé dans une mégapole effervescente à l’architecture bigarrée, soumise à de stricts codes sociaux. Cette chronique urbaine se double d’une comédie sentimentale, car le but du jeu est de déjouer les lois de la probabilité qui font que deux personnes vivant dans une mégapole de 3 millions d’âmes ont peu de chance de se rencontrer. Nous assistons donc au chassé-croisé amoureux de deux solitudes, celles de Mariana et Martin, jusqu’à la rencontre tant attendue. Bien qu’étant une comédie romantique, le film s’éloigne de la mièvrerie inhérente aux stéréotypes de jeunes gens en proie au doute existentiel. A découvrir.

Un Monde beau, fou et cruel (Troy BLACKLAWS)

note: 4Au pays de Mandela Laëtitia - 22 janvier 2014

Nous sommes dans l’Afrique du Sud de l’après-apartheid, mais le rêve d’une nation arc-en-ciel n’est qu’un mirage. L’histoire se déroule sur un mois au Cap,où sévissent une extrême pauvreté,des trafics en tous genres et le racisme inter-ethnique.Nous suivons les tribulations de Jéro et de Jabulani, qui symbolisent tous deux cette nouvelle Afrique du Sud. Jéro est un «coloured», Jabulani un étranger fuyant le Zimbabwe. L'un renonce à ses études pour vendre des souvenirs de pacotille aux touristes, l'autre tombe aux mains de malfrats qui le font travailler comme esclave dans une plantation de marijuana, avant de parvenir à s’en échapper. Et c’est là que leurs destins se croisent : Jabulani sauve la vie d’un homme qui n’est autre que Zéro Cupido, le père de Jéro, sorte de caïd à la Tarantino, mais un caïd au grand cœur qui aide les plus démunis. Car ce qui fait la force du livre et l’éclaire d’une note d’espoir, ce sont les rencontres bienveillantes qui permettent aux hommes de ne pas sombrer, telle la femme qui, au péril de sa vie, prend Jabulani en stop alors qu’il est pourchassé par le «cow-boy fantôme». Enfin, autre point qui fait la force de ce livre, c’est la peinture minutieuse des territoires, avec ses paysages et son climat qui font toute la beauté de la province du Cap : l’océan, ses pêcheurs et ses requins, les fynbos et les frangipaniers, le grouillement du marché du Cap.Un livre envoûtant et abouti.

Oeuvre non trouvée

note: 3... Laëtitia - 11 janvier 2014

Ce premier film en forme de road movie fraternel n’est pas exempt de maladresses, mais il n’en est pas moins très attachant pour le soin tout particulier qu’a apporté Edouard Deluc à ses personnages, vibrant d’humanité, notamment les deux frères, Antoine (Nicolas Duvauchelle) et Marcus (Philippe Rebbot). Car le film s’est d’abord construit autour du personnage incarné par Philippe Rebbot, ami de longue date du réalisateur, qui insuffle beaucoup de poésie et de sensibilité à Marcus, néo-Pierre Richard inadapté à cette société et à la tchatche au débit de mitraillette. Il se donne pour mission de remonter le moral de son petit frère dont le couple bat de l’aile. Pour cela, avant de se rendre au mariage du cousin (Benjamin Biolay) à Mendoza, ils vont prendre du bon temps à Buenos Aires, se laisser entraîner dans une maison close, faire la route des vins, embarquant dans leur folle équipée un réceptionniste d’hôtel et Gabriela, jeune femme sensuelle qui s’ennuie et s’offre ainsi une parenthèse. Mais très vite, si Antoine le déprimé se requinque, c’est au tour de Marcus l’euphorique d’être terrassé par le syndrome de Stendhal. Un film sans prétention, réjouissant, porté par la belle musique country d’Herman Dune, à découvrir.

Nocturnes (Cécile WAJSBROT)

note: 3... Laëtitia - 2 janvier 2014

Si vous avez aimé frissonner au coin du feu en écoutant les histoires effrayantes narrées par la voix grave de Pierre Bellemare, vous aimerez sans doute «Nocturnes» de l’irlandais Connolly. «La balade du cow-boy cancéreux» ou l’histoire d’un homme infecté par un mal en mutation, ouvre le bal de ce recueil de nouvelles fantastiques. Elles ont un dénominateur commun : leur histoire est ancrée avant la seconde guerre mondiale (hormis une exception). Toutes jouent sur l’exploitation de cette «peur rampante», irrationnelle, entretenue par maintes légendes. Tous les registres du paranormal et les classiques du fantastique sont ici repris : mythe du Golem («Le démon de M. Pettinger»), loup garou («Le cycle»), rituels sataniques («Sables mouvants»), vampire («Le bel engrais de miss Froom»), revenant («Le lit nuptial»), etc. Des nouvelles qui vous hanteront longtemps.

La Mémoire du monde n° 1 (Stéphanie JANICOT)

note: 3... Laëtitia - 31 décembre 2013

Ce premier volet d’une trilogie à venir est un roman historique au souffle romanesque qui, en dépit de ses 500 pages, se dévore d’une traite. C’est l’histoire de Mérit, jeune égyptienne dont le grand-père est guérisseur du pharaon Aménophis III. Ce dernier rêve d’éternité et lui demande de lui concocter un philtre d’immortalité. Finalement, ce sera Mérit qui le boira... Fuyant Ramsès II, elle suit les hébreux dans leur exode, s’arrêtant en Canaan, et nous contera telle Shéhérazade sa propre version des faits. Elle choisira toujours des femmes dans sa descendance pour transmettre son savoir et les histoires qui façonnèrent les grandes civilisations. Car Mérit traverse les siècles et nous permet de mieux comprendre les origines des grandes civilisations –égyptienne, assyrienne, perse, grecque-, incarnant à elle seule l’histoire du Proche Orient et de la Méditerranée. Elle croisera le chemin des plus grands penseurs, philosophes, prophètes et rois, tels Socrate, Platon, Empédocle, Alexandre, Ptolémée Philadelphe, etc. En somme, une merveilleuse machine à remonter le temps !

Millefeuille (Nouri BOUZID)

note: 3Révolution de Jasmin Laëtitia - 14 novembre 2013

Ce film est l’un des premiers à traiter de la «Révolution de jasmin» (2010-2011), ou comme disent les Tunisiens, de la «Révolution de la dignité». La première scène s’ouvre sur une manifestation sévèrement réprimée par les forces de l’ordre, avec le fameux slogan «Dégage» scandé par ceux qui précipiteront la chute du Président Ben Ali. C’est à cet instant crucial que l’on découvre les deux héroïnes du film qui sont en train d’écrire l’Histoire de leur pays. Mais c’est sous l’angle intimiste que Nouri Bouzid choisit de filmer la révolution. Aïcha et Zaineb sont inséparables et travaillent toutes deux dans un salon de pâtisserie nommé «Millefeuille», ce qui donnera lieu à une scène de chant où le millefeuille devient une parabole de la vie politique tunisienne dont les différentes couches culinaires évoquent la multitude des partis engagés dans la bataille pour le pouvoir. Elles représentent toutes deux le combat des femmes à être elles-mêmes : Aïcha porte le voile, lutte contre son employeur qui la pousse à l’enlever et prouve qu’être musulmane n’est pas incompatible avec le combat pour l’émancipation, tandis que Zaineb se rebelle contre sa famille qui voudrait le lui faire porter en vue de son futur mariage. Hormis quelques clichés, un film à savourer.

La Confrérie des chasseurs de livres (Raphaël JERUSALMY)

note: 3... Laëtitia - 12 novembre 2013

L’intrigue de ce roman débute par un présupposé fantaisiste : Et si Villon (dont on a mystérieusement perdu la trace à 31 ans) était devenu l’émissaire du roi Louis XI qui, en échange de sa grâce, en fait un pion essentiel dans sa bataille politique contre Rome ? Villon va utiliser deux leviers pour y parvenir : en incitant un imprimeur allemand à s’installer à Paris afin de diffuser des oeuvres subversives pour la Papauté,ensuite, en partant pour la Terre Sainte afin de se mettre en contact avec la confrérie des chasseurs de livres. En effet, aidée des Médicis, cette confrérie, qui cache dans la Jérusalem d’en bas des manuscrits rares sauvés pour la plupart de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, œuvre aussi pour la divulgation de la connaissance au plus grand nombre. La quête de notre héros va donner lieu à une multitude de rebondissements où les retournements d’alliance sont légion. Car le pouvoir des mots est immense : détenir certains livres, c’est ici enclencher une guerre culturelle et détenir le pouvoir. En libre-penseur, Villon prend peu à peu conscience de sa véritable mission (non celle imposé par le chantage royal) : libérer la parole de la censure et de l’élitisme, pour mieux affranchir l’homme. L’auteur, tout en s’inspirant de l’Histoire pour mieux s’en émanciper, nous livre un bijou d’érudition, à la croisée du roman picaresque et du roman ésotérique.

Le Quatrième mur (Sorj CHALANDON)

note: 4Au Pays du cèdre Laëtitia - 17 octobre 2013

«Je n’avais vu du Liban que la ville. Brusquement, au pied des collines sèches, des oliviers, des pinèdes à perte de vue.Marwan lisait mon silence. Les cascades, les montagnes, les cèdres, les femmes et les hommes d’Aley, cœurs de pierre et de miel. Je me suis laissé aller contre la vitre. Nous avions abandonné la guerre de l’autre côté. J’ai imaginé Aurore et Louise (...).Je les aurais voulues ici, le temps du petit lac, de l’enfant sur son âne, du vieillard assis en bord de route,de l’aigle royal ». Correspondant de guerre entre 1973 et 2005, l'auteur a mis longtemps avant de s’autoriser à mettre sa plume au service de la fiction. Alors qu’il nous avait ému avec «Mon Traître», évoquant l’histoire de l’Irlande du Nord,il récidive avec «Le 4em mur», qui relate la guerre du Liban. Georges est son double de papier (car Sorj, c’est Georges en breton). Militant d’extrême-gauche et étudiant en théâtre, il rencontre Sam, metteur en scène grec et juif ayant fui la dictature des Colonels,scellant une amitié fraternelle si forte qu’elle poussera Georges à relever un incroyable défi : remplacer au pied levé Sam et aller à Beyrouth monter «Antigone» d’Anouilh,avec des comédiens constituant la mosaïque confessionnelle libanaise – palestinienne, druze, chiite, chrétienne maronite, etc-.Mais rien ne se passera comme prévu, avec en ligne de mire Sabra et Chatila…

La Piel que habito (Pedro ALMODÓVAR)

note: 4... Laëtitia - 10 octobre 2013

Libre adaptation de «Mygale» de Thierry Jonquet, ce film est un grand cru du cinéaste ibérique. Abandonnant la flamboyance tant au niveau de la forme (adieu couleurs chaudes et décor psychédélique) que du fond (adieu la Movida et ses histoires transgenres), Almodovar s’empare du film noir pour mieux le distordre et lui imprimer sa marque. Car rassurez-vous, il n’a rien perdu de sa verve ni de ses névroses ! C’est l’histoire du chirurgien plasticien Ledgard, sorte de docteur Frankenstein, qui travaille sur le renouvellement cellulaire et se livre à des expériences sur des cobayes humains à l’abri des regards dans sa somptueuse propriété « El Cigarral », secondé par sa nourrice Marilia. Obsédé par la disparition tragique de sa femme, morte brûlée vive, il tient captive Vera, nouvelle Eve qu’il modèle à l’image de la femme aimée et qu’il épie via un immense écran plasma. Ou du moins est-ce l’une des nombreuses illusions concoctées par Almodovar, spécialiste des chausse-trappes, qui en multipliant les strates narratives, se joue du spectateur et l’amène à un retournement complet de situation. Mais n’en disons pas plus afin de laisser le suspens intact et… bon film !

Babycall (Pal SLETAUNE)

note: 3... Laëtitia - 27 septembre 2013

L’histoire se passe en Norvège, l’interprète principale –magistrale Noomi Rapace- est suédoise, mais les thèmes évoqués sont universels : Anna, mère célibataire, emménage dans un grand ensemble d’immeubles avec son fils de 8 ans, Anders, pour fuir un ex-mari ultra-violent. Elle tente de reprendre le dessus mais très angoissée, elle ne peut s’empêcher de surprotéger son fils en l’attendant face à l’arrêt de bus de l’école ou encore en achetant un « babycall » de façon à s’assurer que tout se passe bien pendant son sommeil. Le décor, triste à pleurer, une barre d’HLM évoquant une prison, entourée de parkings et de supermarchés, reflète bien la solitude urbaine, lieu propice à l’irruption du fantastique, par le biais du babycall captant des bruits étranges –cris d’enfant, bruits de coups- semblant venir d’un autre appartement. Mais perdant parfois contact avec le réel –Anna croit voir un lac là où il y a un parking-, l’héroïne et le spectateur s’interrogent : ce qu’elle entend, ce qu’elle voit, serait-ce le fruit de sa paranoïa ou la sordide réalité ? A la lisière du thriller psychologique et du fantastique, un beau film sombre et marquant.

Des Larmes sous la pluie n° 1 (Rosa MONTERO)

note: 3... Laëtitia - 21 septembre 2013

Ce titre est un hommage au film «Blade Runner », dont il emprunte l’atmosphère apocalyptique (ghettos à l’air pollué, eau rationnée) et la quête existentielle de certains réplicants, comme Myriam Chi, leader du MRR ou Mouvement Radical Réplicant, qui prône la fierté d’être réplicant et le droit à ne pas être citoyen de seconde zone. Nous sommes aux Etats-Unis de la Terre, en 2109, où les humains et les autres espèces se côtoient avec difficulté. Bruna, ex-réplicante de combat devenue détective, marginale au sein même de sa communauté pour avoir des émotions exacerbées, est engagée par Chi pour enquêter sur des morts de réplicants dues sans doute à l’implant de mémoires adultérées les rendant fous et les poussant au crime. S’agit-il d’un complot des Suprématistes, équivalent du Ku Klux Klan anti-réplicant ? Et qui manipule le contenu des Archives Centrales et dans quel but ? Aidé de l’archiviste humain Yiannis, du détective Lizard et d’une faune de marginaux, Bruna va mettre à jour un véritable complot et découvrir en même temps que certains de ses souvenirs ne sont pas tous artificiels… De la SF humaniste.

Le Dernier lapon (Olivier TRUC)

note: 3... Laëtitia - 27 août 2013

Le polar ethnologique se porte bien. Après le shérif cheyenne Longmire de Craig Johnson, voici l’inspecteur Klemet Nango, un sami, et sa coéquipière Nina, tous deux affectés à la «police des rennes». Le vol d’un tambour traditionnel usité par les chamans, allié au meurtre de Mattis, éleveur de rennes, va réactiver les tensions existant entre les communautés norvégienne et sami.Un policier raciste, un politicien corrompu, un géologue français, un éleveur de rennes vivant en autarcie, la liste des suspects s’allonge… Cette double enquête sera aussi l’occasion de découvrir les us et coutumes du dernier peuple aborigène d’Europe, les Sami, de saisir les véritables enjeux que cachent les faits, à savoir la chasse au trésor que se livrent les pays scandinaves en quête des réserves naturelles (or,uranium), avec le risque que la Laponie devienne un Far West scandinave. Empreignez-vous des paysages rudes et enneigés de Laponie, de la poésie née de la fin de la nuit polaire : « La lueur magnifique se reflétait de plus en plus ardemment sur quelques nuages qui reposaient mollement au loin. Nina était saisie. On voyait nettement un halo vibrionnant troubler le point d’horizon que chacun fixait. Nina ne connaissait pas ce phénomène, mais elle en ressentait pourtant pleinement la puissance charnelle et même spirituelle.Klemet paraissait observer son ombre dans la neige comme s’il découvrait une magnifique œuvre d’art».

Rimbaud l'indésirable (Xavier COSTE)

note: 3... Laëtitia - 1 août 2013

Jeune auteur de BD, Xavier Coste, après s’être intéressé au destin d’Egon Schiele, nous livre « Rimbaud l’indésirable », ou sa vision d’un poète au destin aussi fulgurant qu’un météore. Il s’agit d’un diptyque, la première partie évoquant la montée à Paris de Rimbaud, les affres de la création, sa rencontre avec Verlaine et leur errance alcoolisée à travers l’Europe – illustrée par de superbes planches sur Paris, Bruxelles et Londres-. Puis une page noire permet une coupure symbolique entre les deux vies du poète, la deuxième partie étant consacrée à ses voyages commerciaux à travers l’Afrique, notamment au trafic d’armes. Du point de vue narratif, les dialogues alternent avec des extraits de lettres et de poèmes (tels « le sonnet du trou du cul », « le bateau ivre »). Quant à la forme, on appréciera la ligne claire, mais aussi les tons chauds utilisés dans la deuxième partie pour mieux nous immerger dans la chaleur harassante de l’Afrique. Une BD biographique à découvrir absolument.

Le Sang des fleurs (Johanna SINISALO)

note: 3... Laëtitia - 26 juillet 2013

L’histoire se passe dans un futur proche en 2025, en Finlande. Partant d’un phénomène scientifique inexpliqué jusqu’à ce jour – la disparition massive de colonies d’abeilles-, l’auteur imagine un futur où le problème aurait dégénéré, la plupart des pays étant touchés par une grave crise agricole. La trame de l’histoire se situe en Finlande, rare pays épargné, jusqu’au jour où Orvo, apiculteur passionné, est confronté à la désertion inquiétante de deux ruches. Par hasard, il découvre dans le grenier une ouverture qui lui donne accès à un univers parallèle duquel l’homme semble absent et les abeilles bien vivantes. Orvo suppose que sa découverte pourrait avoir un lien avec la situation actuelle et mène l’enquête. Une double narration se tisse alors, se répondant en écho, soulevant des thématiques identiques –préoccupation environnementale en tête-, celle d’Orvo, traumatisé par la mort de son fils Eero, et celle d’Eero, écoterroriste, par le biais d’extraits de son blog. Cette alternance récit classique et éclairage scientifique permet à l’auteur de mettre en avant son engagement écologique et de nous alerter sur la fin programmée des abeilles, le risque de se nourrir de viande rouge, les abattoirs aux méthodes cruelles. A mi-chemin entre récit fantastique et livre à thèse, goûtez ce miel littéraire.

La Yuma (Florence JAUGEY)

note: 4... Laëtitia - 13 juillet 2013

La Yuma : Florence Augey
Connaissez-vous le cinéma nicaraguayen ? La Yuma est une excellente occasion de l’appréhender au travers du quotidien des habitants des barriadas, quartiers mal famés de Managua, avec leur cortège de maux : délinquance juvénile, drogue comme économie parallèle, violence machiste, etc. Mais loin d’être plein de noirceur, ce film est lumineux, notamment par la présence charismatique de l’héroïne, Yuma, qui fait face à l’adversité en toutes circonstances. Yuma poursuit son rêve d’être boxeuse, s’entraînant sans relâche. Ceci n’est pas un film sur la boxe, mais sur une passion qui permet à Yuma d’être digne et respectée, un moyen de sortir un jour de son quartier et de prétendre à une vie meilleure. De sa courte liaison avec Ernesto, étudiant de la classe moyenne, à l’amitié qui la lie à un groupe de pandilleros de son quartier, on suit avec plaisir le chemin initiatique d’une fille que rien ne peut arrêter.

La Servante et le catcheur (Horacio CASTELLANOS MOYA)

note: 3Bienvenue en Enfer Laëtitia - 4 juillet 2013

Ce roman écrit au scalpel est une peinture sombre du Salvador des années 70, en pleine guerre civile.Souvent comparé à Céline pour son écriture sans fioritures,parfois vulgaire mais néanmoins efficace,l'auteur nous immerge dans un pays miné par l’ultraviolence, aussi bien celle de la dictature sous Duarte,que celle des opposants au régime. Pendant 48 heures,à San Salvador,l’horreur du quotidien, fait d’enlèvements,d’attentats et de tortures,passe par le regard de quatre personnages principaux : celui de Maria Elena (la servante),toute dévouée à ses patrons,et qui se donne pour mission d’apprendre ce qui est arrivé à un couple de jeunes gens de la famille, disparus à leur retour d’URSS ; celui du Viking, ancien catcheur devenu flic tortionnaire ; celui de Joselito, petit-fils de Maria Elena, étudiant et engagé politiquement jusqu’à devenir terroriste ; et enfin celui de Belka, fille de la servante, qui incarne la lâcheté ordinaire, préférant rester neutre et fermer les yeux sur les atrocités. Ces destins vont s’entremêler inexorablement dans une tragédie oedipienne, les enfants tirant sans le savoir sur leurs propres parents, les mères cachant à leurs enfants l’identité du père. Ce roman d’une plongée en enfer, qui n’est pas à mettre entre toutes les mains, reste une radiographie aussi réussie que dérangeante de l’histoire de tout un peuple d’Amérique centrale, un véritable uppercut.

Oeuvre non trouvée

note: 4... Laëtitia - 25 juin 2013

1502 : Michael Ennis
Ce thriller historique est une fresque finement ciselée de l’Italie de la Renaissance, sous le règne des Borgia, famille à la réputation sulfureuse accusée de fratricides,d’incestes,et qui symbolise par son Pape Alexandre VI la décadence de l’Eglise. Tout commence par la découverte d’un corps de femme atrocement mutilé à Imola,portant sur elle le médaillon ayant appartenu à Juan,fils préféré du pape, dont l’assassinat cinq ans auparavant n’a toujours pas été résolu.Cette découverte permet de relancer l'enquête, celle-ci étant confiée à Damiata, ancienne courtisane et maîtresse de Juan, qui lui donna un fils, Giovanni, détenu en otage par le pape afin de l’inciter à obtenir de rapides résultats. A Imola, un serial killer semble sévir et Damiata se verra épauler par Niccolo Machiavel, envoyé par la République de Florence pour garder un œil sur le Pape et son fils Valentino,stratège et visionnaire,qui lui inspira son personnage central du « Prince ».Leonardo Da Vinci, ingénieur et architecte du duc Valentino,se joindra à eux pour tenter d’élucider ces crimes en utilisant ses méthodes scientifiques avant-gardistes. A cette enquête palpitante s’ajoute le plaisir de baigner dans la description d’une époque bénie pour les arts et les sciences, mais aussi pleine d’agitation avec ses multiples guerres entre cités et ses condottieri mercenaires qui se vendent aux plus offrants.

Extrêmement fort et incroyablement prêt (Jonathan Safran FOER)

note: 3... Laëtitia - 30 mai 2013

Extrêmement fort et incroyablement près : Jonathan Safran Foer
Conte, roman initiatique et/ou histoire à tiroirs,une chose est sûre,ce roman peut en dérouter plus d’un. Jeune prodige des lettres américaines contemporaines,Foer nous immerge dans son univers baroque et original où se chevauchent les époques et les continents,où le réel côtoie le rêve. Pour corser le tout,l’auteur fait de cet objet littéraire un objet typographique,incluant des photographies,des listes de chiffres, toute une somme qui reflètent la personnalité de son personnage central, Oskar,petit garçon de neuf ans surdoué et limite autiste. Suite à la mort de son père lors des attentats du 11 septembre et à la découverte d’une clé dissimulée dans un vase,Oskar est persuadé qu’il s’agit là d’un ultime message laissé par son père et porteur de sens.Son périple lui fera écumer les cinq districts de la ville,rencontrant toutes sortes de gens,lui permettant de surmonter quelque peu sa peine et de s’ouvrir au monde.Livre étrange,malgré quelques passages artificiels,il emporte mon adhésion pour de nombreux instants de grâce dus à l’humanité des rencontres faites par Oskar,à l'excentricité des personnages,mais aussi par la qualité de la plume de Foer,savante et inventive,sans compter une fin émouvante…

Oeuvre non trouvée

note: 4... Laëtitia - 11 mai 2013

Après des études aux Beaux-Arts de Bruxelles, Jung Sik Jun se plonge dans l’univers de la BD, avec une nette préférence pour tout ce qui a trait au Japon, travaillant souvent à quatre mains avec son épouse Jee Yun. Puis il se lance dans le roman graphique avec «Couleur de peau : miel», plus intimiste, puisqu’il s’agit de l’histoire de son adoption à l’âge de 5 ans par un couple de belges, très vite adapté au cinéma. Ce film hybride est un petit bijou, alternant habilement l’animation 3D (pour l’aspect poétique),des images familiales en super 8 (pour l’authenticité), des images d’archives de la Corée d’après-guerre (pour inscrire son histoire personnelle dans la grande Histoire), ainsi que des séquences en prise de vue réelle dans la Corée d’aujourd’hui (pour boucler la boucle). Lui qui croyait que sa couleur de peau était miel, comme il était indiqué sur sa fiche d’adoption, se fait traiter à l’école de «citron jaune» alors qu’il se sent belge. Confronté à la différence, sa quête identitaire va être activée et va passer par plusieurs phases : déni de la Corée, invention d’une identité japonaise, séjour à l’hôpital comme un cri de détresse. Emouvante mais non dénuée d’humour, cette histoire n’est pas qu’une catharsis, mais est aussi un vibrant hommage à sa mère de cœur et aux mères coréennes qui n’ont pas eu d’autre choix.

Notre-Dame-Du-Nil (Scholastique MUKASONGA)

note: 4... Laëtitia - 7 mai 2013

Prix Renaudot 2012, Notre-Dame-du-Nil place le lecteur au cœur du Rwanda des années 70, alors que les Hutu ont pris le pouvoir et commencent à imposer leurs diktats. Au lycée,unisexe et perché en altitude pour éloigner les garçons, c’est la rentrée scolaire. Un ballet incessant de belles voitures déposent des jeunes-filles issues de milieu aisé, majoritairement hutu, destinées à incarner l’élite future du pays. A l’heure des quotas, Veronica et Virginia sont les seules tutsi de leur classe de terminale, où sévit Gloriosa, fille de ministre et leader en devenir, qui profitera du nouveau régime politique pour tenter d’expulser ces «cafards». «Parasites» pour les uns, «déesses» pour certains blancs, comme l’excentrique M. de Fontenaille, qui voit en elles les descendantes des pharaons noirs, elles devront elles et leurs camarades faire face à la montée en puissance de la haine raciale. Heureusement, quelques épisodes cocasses sont autant d’éclaircies dans une atmosphère de plus en plus pesante. Comme l’a souligné avec justesse l’écrivain congolais Boniface Mongo-Mboussa, l’auteur «donne aux disparus une digne sépulture de mots à la fois pour apaiser les vivants et sanctifier les morts».Sans juger l’histoire complexe du pays, le lecteur est touché par ce récit émouvant, qui dessine les prémices du génocide de 1994, où Scholastique Mukasonga a perdu 37 membres de sa famille, dont sa mère.

Dans le ventre des mères (Marin LEDUN)

note: 4... Laëtitia - 2 avril 2013

Jeune romancier ardéchois,Marin Ledun situe le cœur de son intrigue dans sa région natale,propice par sa faible densité démographique et par son aspect isolé à faire éclore un immense laboratoire secret dédié aux bio et nanotechnologies,dirigé par Peter Dahan,mi-gourou,mi-scientifique. V. Augey,inspecteur lyonnais, est appelé en renfort suite à l’explosion du village où se situait le laboratoire. Dans un décor de fin du monde, un charnier est mis à jour,les cadavres portant les traces de mutations génétiques. Le lecteur assiste à un chassé-croisé entre Augey et Laure Dahan, seule survivante et principale suspecte mue par deux obsessions, retrouver sa fille et détruire les travaux de son père. Rythmé par une écriture vive,semé de rebondissements qui nous mènent de l’Ardèche à Berlin,en passant par Zagreb,le Maroc et la Sicile, naviguant du polar noir à la science-fiction,on ne lâche plus ce roman qui donne aussi à réfléchir sur les dérives possibles des manipulations génétiques aux mains de complexes militaro-industriels. Car le transhumanisme,décrit par un scientifique du roman est «(…)une doctrine philosophique(qui vise) l’amélioration du corps humain par la technologie (permettant)d'accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives ». Et ce n’est pas de la paranoïa de penser que dans le secret de laboratoires, des scientifiques jouent déjà aux apprentis-sorciers…Un techno-polar efficace.

Les Femmes du bus 678 (Mohamed DIAB)

note: 4... Laëtitia - 30 mars 2013

Le Caire, de nos jours. Le cœur du film de Mohamed Diab est la révolution,non pas celle politique, brûlante d’actualité, du soulèvement du peuple, place Tahrir. Cette révolution, c’est celle des femmes qui luttent contre tout ce qui porte atteinte à leur dignité, à savoir les remarques déplacées, les attouchements et autres agressions sexuelles ayant lieu quotidiennement, dans la rue,les stades de foot, et surtout les bus. Le film croise les destins de trois femmes, Fayza, femme mariée qui porte le voile et vit dans les quartiers populaires, Seba,artiste bourgeoise et Nelly, qui rêve de percer dans le stand-up. Récits parallèles, flash-back, le cinéaste use de tous ces procédés pour tisser la trame de ces destins et enfin les faire se rencontrer. Chacune à leur manière elles se feront justice,Fayza étant la plus radicale, blessant ses agresseurs et déclenchant ainsi une enquête de police. A travers elles, Mohamed Diab dresse un constat lucide, amer, mais aussi plein d’espoir, de l’évolution de la société égyptienne, et réfute tout amalgame entre ces actes et l’islam. En effet, le viol collectif d’une jeune indienne dans un bus de New Delhi en janvier dernier, décédée des suites de son agression, rappelle si besoin est que la violence n’est l’apanage d’aucun peuple ni d’aucune religion. Et que les hommes, comme le fiancé de Nelly ou le commissaire Essam,peuvent par leurs actes et leur soutien, contribuer à cette révolution.

Dojnaa (Galsan TSCHINAG)

note: 3... Laëtitia - 12 mars 2013

« Je suis belle, ô mortels !, comme un rêve de pierre » : ce vers de Baudelaire semble avoir été écrit pour le personnage de Dojnaa, au sens propre comme au figuré. Car Dojnaa, en digne fille d’un lutteur de légende, est grande et robuste. Et elle ne plie pas face à la dureté de la vie dans les steppes, ni ne renonce à sa liberté dans une société traditionnelle, faisant face aux médisances quand son mari la quitte, repoussant une tentative de viol ou encore chassant le gibier comme un homme. Faisant partie de l’ethnie des Touvas, éleveurs nomades et adeptes du chamanisme, Tschinag n’était pas destiné à être écrivain, car la langue est uniquement orale, dédiée au chant, à la poésie et au sacré. Suite à des études en Allemagne, c’est dans la langue de Goethe qu’il décide de faire connaître au monde entier la beauté et la rudesse des paysages et des hommes de l’Altaï. A lire pour ce magnifique portrait de femme et pour cette immersion dans un quotidien rythmé par les saisons.

Oeuvre non trouvée

note: 4... Laëtitia - 9 février 2013

Artiste ivoirien polyvalent : infographiste, illustrateur, peintre et auteur de BD, il aborde dans ce cycle un sujet tabou de la société africaine, à savoir la magie noire, sujet qu’il connait bien pour l’avoir abordé lors de la soutenance de son diplôme national. L’histoire se passe dans un village où des gens meurent de façon étrange, surtout des enfants. Pour monter en grade, chaque sorcier doit à tour de rôle sacrifier un être cher. C’est au tour de Gaba de donner son dernier fils. Il sait qu’il peut contourner ce sacrifice par d’autres rituels, tels l’incorporation de l’esprit d’un mort dans un objet (comme le collier d’Oly, autre puissante sorcière), ou le mariage avec un autre initié. L’histoire tient en haleine le lecteur, qui se promène en alternance entre monde réel et monde magique. D’un point de vu graphique, cet album tient aussi ses promesses. Le cadrage cinématographique des planches et les plans d’ensemble succèdent aux zooms (notamment les regards hallucinés des sorciers). De même, les dessins, de par leurs contours et couleurs, nets quand ils retracent le quotidien du village, prennent une autre dimension lors des épisodes de sorcellerie, avec des traits flous et des teintes assombries qui se mélangent pour rendre une atmosphère onirique et inquiétante. Laissez-vous envoûter !

Les Manguiers de Bellavista (Robin BAYLEY)

note: 3... Laëtitia - 14 décembre 2012

Robin Bayley : Les Manguiers de Bellavista (Arthaud, 2010)
Depuis sa plus tendre enfance, l’auteur a été bercé par les histoires contées par sa grand-mère, tournant toutes autour de la figure d’aventurier d’Arturo, l’arrière-grand-père, qui tout jeune quitta son Angleterre natale pour travailler dans une filature, dans un petit village du Mexique. En exhumant d’une vieille valise cabossée une lettre et des photographies de cette période, Robin décide de marcher dans les pas d'Arturo, entamant un périple le menant du Guatemala en passant par la Colombie, le Vénézuela et bien sûr le Mexique. Il découvrira l’hospitalité et la solidarité sud-américaine : à Antigua, il affinera sa connaissance de l’espagnol et tombera amoureux de Juanita ; dans un bus à destination de Bogotà, il fera la connaissance de Pedro, un ingénieur qui va le dévier de sa route en l’invitant à bourlinguer avec sa famille jusqu’à San Marta pendant près d’un mois,etc. Puis les choses se précipitent : près de Tepic, dans le hameau de Bellavista, il se découvre une deuxième famille nombreuse, Arturo ayant eu une liaison extraconjugale, et de cette liaison une fille, ayant donné naissance à… 11 enfants !Cette révélation va être le prélude à d'autres bouleversements... Un très beau récit sur la filiation, les secrets de famille, la tolérance et la découverte d’autres horizons.

Le Cochon de Gaza (Sylvain ESTIBAL)

note: 3... Laëtitia - 21 novembre 2012

Le Cochon de Gaza (Sylvain Estibal, 2011)
Aborder le conflit israélo-palestinien au cinéma peut s’avérer un exercice périlleux, souvent synonyme de parti pris, mais vu sous l’angle de la comédie, cela donne un film savoureux, drôle et pétri d’humanité. C’est l’histoire de Jafaar (interprété par Sasson Gabai, comédien génial déjà repéré dans « La visite de la fanfare », où il incarnait un chef d’orchestre égyptien), pêcheur palestinien qui remonte par hasard dans ses filets un cochon vietnamien. Considéré comme « haram » (impur), il doit se débarrasser de l’animal au plus vite. Jafaar, incarnation à lui seul du peuple gazaoui, coincé entre la misère quotidienne, la présence des soldats israéliens (qui ont un chek-point sur le toit même de sa maison !) et le diktat des barbus, se lance alors dans un commerce rocambolesque et bien peu recommandable avec une fermière d’une colonie. S’ensuit toute une série de séquences burlesques qui n’empêchent pas de réfléchir à l’absurdité de la situation, notamment cette scène où la femme de Jafaar et un des soldats qui occupe le toit de sa maison se découvrent une passion commune pour une sitcom brésilienne, seul mode de communication dérisoire qu’ils ont su trouver pour établir un semblant de dialogue… A voir pour son originalité et son humour décalé !

Prince d'orchestre (Metin ARDITI)

note: 4... Laëtitia - 10 octobre 2012

Metin Arditi : Prince d’orchestre(Actes Sud, 2012)

Président de l’Orchestre de la Suisse romande et co-président d’une fondation qui favorise l’éducation musicale d’enfants de Palestine et d’Israël, il n’est guère étonnant que Metin Arditi choisisse pour personnage central de son roman un chef d’orchestre. Alexis Kandilis a tout pour lui : la beauté, le talent, une cour empressée d’admirateurs, et, ultime consécration, l’assurance d’obtenir le B16, c'est à dire la direction des neufs symphonies de Beethoven. Mais un grain de sable va enrayer cette belle mécanique, ou plutôt un incident survenu avec un musicien, vite relayé par la presse. Peu à peu, le lecteur va assister à une descente aux enfers de Kandilis, dont les blessures d’enfance vont resurgir et faire de lui un autre homme.
A lire pour la petite musique si particulière d’Arditi où l’art, l’aléatoire, la fragilité humaine, la puissance des médias se mêlent pour créer une puissante satire sociale.

Noces de sel (Maxence FERMINE)

note: 3... Laëtitia - 15 septembre 2012

Roman bref mais intense, « Noces de sel » est un hymne à la Camargue, à ses paysages (marais salants), à ses traditions (fête votive, gardians et courses de taureaux), à ses hommes fiers et authentiques : « Dans toute la ville voguait un étrange parfum où se mêlaient le sel et les entêtantes fragrances des fleurs, bouquet opiacé et enivrant dont les effluves seraient, des heures plus tard, absorbés par le buvard de la nuit ».
Il retrace les amours contrariées de Valentin, apprenti saunier et raseteur, et d’Isoline, la fille du boulanger d’Aigues-Mortes, sur fond de fête votive : « La veille de la fête, comme chaque année, les jeunes de la cité avaient profané la statue de Saint-Louis en posant dans sa main de bronze une bouteille de pastis. Puis, éméchés par les vapeurs d’alcool et le vent de liberté, ils avaient recouvert de bleu de méthylène toute la place, ainsi que la fontaine et les terrasses des cafés ». C’est dans ce cadre que va se nouer le destin des amants… Même s’il n’a pas la puissance poétique de « Neige », « Noces de sel » n’en demeure pas moins un livre à l’écriture ciselée et à l’histoire banale mais universelle : à lire absolument !

Petits remèdes (Shashi DESHPANDE)

note: 4... Laëtitia - 13 septembre 2012

« Petits Remèdes » est un roman dense et touffu, reflet d’une partie de l’Inde contemporaine, de la grande bourgeoisie de haute caste de Bombay. Madhu, la narratrice, qui a perdu son fils unique dans un attentat et accepte d’écrire la biographie de Bai, chanteuse, est le fil d’ariane entre différents destins de femmes, à des époques différentes : « L’idée commence à poindre qu’écrire sur Bai, c’est aussi écrire sur Leela. Et sur ma mère, et sur toutes ces femmes qui ont cherché à se dépasser. Bai fuyant son milieu pour partir à la rencontre de son destin de chanteuse, Leela rompant avec les conventions du veuvage pour rallier le monde entier depuis sa chambrette, avec sa soif de justice pour les faibles ; c’est ma mère courant pieds nus, faisant de son corps un instrument pour aller toujours plus vite, briser ses chaînes et qui plongeait enfin, triomphante, sur le fil d’arrivée. Oui, elles sont là, toutes ensembles. Mais elles ont dû payer le prix de leur liberté ». Shashi Deshpande met donc sa plume talentueuse au service de la condition féminine indienne, tiraillée entre tradition et modernité.

Enfants de poussière (Craig JOHNSON)

note: 3... Laëtitia - 11 juillet 2012

Enfants de poussière de Craig Johnson (Gallmeister, 2012) :
« Nous nous étions tous les deux enfuis le plus loin possible de la guerre, jusqu’aux franges de notre société… ». Le havre choisi par le shérif Longmire et son inséparable ami Henri Standing Bear, pour oublier la guerre du Vietnâm, c’est le comté d’Absaroka, Wyoming, avec ses grands espaces, terre ancestrale des tribus cheyennes et sioux. Et pourtant… Ce clone de John Wayne va être confronté brutalement à son passé : il doit enquêter sur le meurtre d’une jeune asiatique trouvée en bordure de route, avec dans son sac à main une photo du shérif prise 40 ans plus tôt dans un bordel de Saïgon… Cette jeune femme serait-elle une « enfant de poussière », terme désignant les enfants nés de l’union d’une vietnamienne et d’un soldat américain ? Qui l’a tuée ? L’indien mutique trouvé près du cadavre, les frères Dunnigan, agriculteurs bourrus ayant pris du bon temps avec elle, le mystérieux Tran Van Tuyen, distributeur aux USA de films asiatiques, Philip Maynard, barman louche ? Laissez-vous porter par l’intrigue et venez vous imprégner des paysages grandioses des Bighorn Mountains.

Mors tua (Danila COMASTRI-MONTANARI)

note: 3... Laëtitia - 7 juin 2012

Danila Comastri Montanari : Mors tua Danila Comastri Montanari : Mors tua (10/18, « grands détectives »,2008)
Native de Bologne, Danila Comastri Montanari se consacre dès 1993 à l’écriture de polars historiques et à la série des aventures de Publius Aurelius Statius. « Mors tua » se situe à Rome, en 42 de n.E., où l’on suit le sénateur qui, de séducteur invétéré, se transforme en enquêteur, sa dernière conquête, une courtisane nommée Corinna, venant de se faire assassiner dès leur 1er rendez-vous galant. Secondé par son secrétaire Castor, il devra résoudre également un autre crime. Entre la plèbe, représentée ici par les chrétiens, considérés comme une secte à l’époque, d’étranges esclaves piqués de philosophie et de riches patriciens, Aurelius aura fort à faire pour démasquer le tueur… Laissez-vous entraîner dans la Rome impériale de Claude, imprégner des us et coutumes d’un autre temps…

Caravana sereia bloom (CEU)

note: 4... Laëtitia - 10 mai 2012

Caravana Sereia Bloom : Céu (2011, Urban Jungle Records)

“Caravana Sereia Bloom” est le 3ème album de Céu. Si l’on veut en saisir la quintessence et l’ambiance, on pourrait utiliser le néologisme de musique « électropicale ». Gui Amabis, mari-producteur de Céu, orfèvre ès-samples, a beaucoup œuvré pour donner à l’album une couleur vintage, rétro.
L'album donne toujours la part belle à la voix sensuelle et languide de Céu, avec « Palhaço », morceau de samba nonchalante , mais s’ouvre aussi sur d’autres horizons,avec des titres chantés alternativement dans sa langue natale et en anglais. L’auditeur a plaisir à passer du rock période Woodstock avec des guitares sous acide (« Falta de ar », « Teju na estrada ») à du ska et des vibes jamaïcains (« Asfalto e sal », « You won’t regret it »), puis du rock vitaminé années 60 (« Baile de ilusão »), à des morceaux plus oniriques (« Streets bloom », Sereia », incantation à Iemanjá, sirène du panthéon Yoruba).
Résolument brésilien mais enrichi par d’autres genres musicaux,c’est cette hybridation qui fait de Céu une artiste à part de la scène indé brésilienne. "Caravana" est bien plus que l’album d’un été. A déguster avec une bonne caïpirinha !

Oeuvre non trouvée

note: 3Spécial Japon, salon du livre de Paris 2012 Laëtitia - 8 mars 2012

"Tchernobyl, bienvenue en enfer", roman à quatre mains, évoquait déjà le tristement célèbre accident nucléaire russe. Début mars 2011, à peine sur les étals des libraires, comme en écho et par une troublante coïncidence, le Japon vivait à son tour une des catastrophes majeures de son histoire. Les deux auteurs décident, à chaud, de s'emparer du sujet, estimant de leur devoir de "faire savoir" auprès des enfants.
Cela donne "Japon touché au coeur", roman sous forme de journal intime, qui couvre le premier mois des événements, offrant les différents points de vue des différents personnages. C'est l'histoire de Fanny, petite fille dont le père journaliste est parti couvrir la situation au Japon, mais aussi d'Ima, sa cousine japonaise accueillie chez elle, qui souffre de l'éloignement et de son impuissance; de Natalia, amie russe de Fanny dont l'ancien traumatisme de Tchernobyl est réactivé; de Norio, technicien à la centrale de Daiichi qui livre un combat à mort contre le réacteur...
Un roman indispensable dès 11 ans, rendant l'actualité intelligible aux enfants sans simplification, permettant à ses futurs citoyens une réflexion sur le devenir du monde, notamment de l'environnement, le tout complété d'un cahier documentaire étoffé.

Oeuvre non trouvée

note: 4... Laëtitia - 9 février 2012

Dans le Japon de l’immédiat après-guerre, le docteur Sanada officie dans un quartier défavorisé de Tokyo, véritable cloaque filmé longuement en ouverture du film. Alcoolique bourru au grand cœur soignant les miséreux, il est réveillé une nuit par un jeune yakusa blessé par balle, Matsunaga. Sanada détecte chez le yakusa une tuberculose avancée et lui dit « Tes poumons sont plus sales que le bourbier dehors ». Cette évocation a son importance, car cette mare nauséabonde est le reflet non seulement de la misère sociale d’après-guerre, mais elle reflète aussi la noirceur des personnages (yakusas, trafiquants, prostituées, etc). Une relation d’attirance/répulsion se noue entre les deux protagonistes au fil des consultations, où Matsunaga, à mesure que la maladie progresse, se met à ressembler à un acteur de théâtre nô, le visage creusé er cerné. Relation qui culminera jusqu’à la mort en martyre du yakusa, tombant au ralenti dans un escalier, les bras en croix, figure quasi-christique qui apparaît comme une des plus belles scènes. Chef-d’œuvre plastique, cinématographique et historique, à voir et à revoir pour les amoureux du Japon et le grand acteur qu’est Mifune, pour son jeu fiévreux, fait d’improvisation, et sa prestance féline.

Split : Red Sparowes / Gregor Samsa (RED SPAROWES)

note: 4... Laëtitia - 9 février 2012

Quand deux groupes de post-rock se rencontrent, cela donne forcément un album à forte identité musicale. Ce split est harmonieux, puisque les deux premiers morceaux sont le fruit du travail de Red Sparowes, les deux suivants de Gregor Samsa.
Red Sparowes est la création du guitariste Josh Graham, à la base vidéaste de Neurosis, groupe de métal cérébral mélangeant heavy metal , dark ambient et indus. Frustré par les possibilités du pictural, Graham, par le biais du son, a enfin su retranscrire son univers mental (torturé ? à vous de trancher !). Ici, on a droit à du « gros son », post-rock certes, mais aussi noisy , avec un travail très poussé concernant le duo guitare-basse, avec des notes allant toujours crescendo jusqu’à l’explosion cathartique finale.
Quant à Gregor Samsa le bien-nommé (référence au héros de Kafka), son post-rock est moins « furieux », plus fluide, le troisième morceau étant porté par le duo vocal masculin-féminin, le quatrième faisant la part belle aux nappes de violon, avec pour trait commun une atmosphère toujours empreinte de spleen, même s’il y a toujours des « montées » de post-rock basique, avec déflagration de guitares.
Entre rêverie éthérée et speed, marchez avec eux sur cette corde tendue au dessus-de l’abîme. Les amateurs de Gospeed You ! Black Emperor, Sigur Ros , Mono , etc y trouveront leur compte.

Portugal (Fiona DUNLOP)

note: 4Fauve d’Angoulême, prix de la BD Fnac 2012 Laëtitia - 9 février 2012

Portugal : Pedrosa (Dupuis, Aire libre, 2011)
Portugal, comme son titre l’indique, est une quête des origines et une ode magnifique à une terre. Le synopsis est le suivant : Simon, auteur de BD en panne d’inspiration et en pleine quête existentielle, se rend à Lisbonne dans le cadre d’un salon de la BD . Cela remue quelque chose en lui, alors qu’il ne s’était jusqu’à présent guère intéressé à ses racines. Le mariage d’une cousine en Bourgogne, puis un bref séjour chez un cousin au Portugal, vont déclencher en lui l’envie de se pencher plus particulièrement sur l’histoire de son grand-père paternel et du frère de celui-ci, de la difficulté d’être tant de celui qui émigre que de celui qui reste au pays. D’un trait ondoyant, Pedrosa nous livre des tranches de vie, les variations graphiques épousant ces dernières –utilisation du sépia, de filtres de couleurs, etc-. Laissez-vous porter par ce récit-fleuve de presque 300 pages, où Cyril Pedrosa, par le biais de son personnage principal Simon, nous livre un récit foisonnant et aérien aux couleurs de l’autobiographie.

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